LEON PAULET – La Marseillaise oubliée.
Lorsque l’on parle des villes qui peuvent se revendiquer d’avoir été les « berceaux » de l’industrie automobile française, ou, en tout cas, d’avoir un riche passé automobile, en plus de Paris, l’on pense évidemment à Lyon (qui fut le lieu de naissance de marques comme Berliet, La Buire ou Rochet-Schneider ainsi que Motobloc à Bordeaux.) En revanche, lorsque l’on évoque la ville de Marseille, c’est plutôt l’univers des romans et des personnages de Pagnol qui viennent à l’esprit mais pas vraiment celle de la production automobile.
Pourtant, ce que beaucoup (y compris parmi les passionnés de voitures anciennes en France) ignorent sans doute c’est que celle-ci a aussi émaillé, à une époque, l’histoire de la cité phocéenne, même s’il est vrai que les constructeurs qui choisirent d’y implanter leurs usines ne furent pas vraiment nombreux. Les deux seuls qui laissèrent une véritable trace dans la mémoire des passionnés et des connaisseurs furent Turcat-Méry ainsi que Léon Paulet.
C’est à l’occasion du Salon automobile qui se tient au Grand-Palais des Champs-Elysées à Paris, en octobre 1921, que le public français découvre cette dernière pour la première fois.
A l’origine de sa création, on retrouve, toutefois, un homme qui n’est pas du tout un novice en matière d’automobile et qui a même été formé à bonne école puisqu’Arthur « Léon » Michelat est un ancien ingénieur de chez Delage. Engagé par Louis Delage en 1909 ou 1910, Michelat fut rapidement chargé de la conception des voitures destinées à défendre le nom de la marque en compétition. C’est à lui que l’on doit ainsi le Type X de 3 litres vainqueur de la Coupe de l’Auto à Boulougne en 191, le Type Y de 6,2 litres qui remporta le Grand Prix de l’Automobile Club de France sur le circuit du Mans en 1913 ainsi que les 500 Miles à Indianapolis, aux Etats-Unis, en 1914.
A la fin de la Grande Guerre, en 1918, Michelat se retrouve toutefois en désaccord avec Louis Delage concernant la conception des modèles qui doivent composer la nouvelle gamme d’après-guerre. L’ingénieur quitte alors le constructeur mais en ne partant toutefois pas les mains vides. Il emporte, en effet, avec lui les plans d’un nouveau modèle qu’il avait étudié durant le conflit, entre 1915 et 1916. Celui-ci devant recevoir un six cylindres d’une cylindrée de 3,5 litres, pour lequel Michelat s’est, à la fois, inspiré de ces créations antérieures chez Delage ainsi que d’autres moteurs contemporains (et pas uniquement ceux destinés à l’industrie automobile) comme le nouveau V8 étudié par Hispano-Suiza pour l’aviation.
Jugeant sans doute le moteur conçu par Michelat trop complexe, par sa conception comme par les coûts qu’impliquerait sa production, Louis Delage préfère toutefois se tourner vers une mécanique plus simple et (pour cette raison) qu’il juge plus robuste et fiable. Le moteur en question étant un 4,5 litres de 20 CV fiscaux. Le nouveau modèle qui en est équipé parviendra d’ailleurs à séduire les représentants du Service des Armées, puisque celui-ci en passera commande, en 1917, d’une centaine d’exemplaires.
Lorsqu’il reprend sa liberté, en 1919, du fait des divergences entre lui et Louis Delage, ce dernier lui cède toutefois les droits de la licence d’utilisation et de fabrication du six cylindres 3,5 l qu’il avait mis au point pendant la guerre. Il s’établit alors à Marseille, où il propose ses services, ainsi que son moteur, à la Société des Etablissements Léon Paulet. Du fait de son (fort) éloignement de la zone des combats, celle-ci fut, évidemment, fortement mise à contribution pour l’effort de guerre, que celle-ci mit notamment au service de la Marine française, à laquelle elle fournit un grand nombre de moteurs ainsi que de l’armement.
Si les nombreuses commandes militaires durant les quatre années que durera le conflit mondial en fera une entreprise puissante, malheureusement pour la société Léon Paulet, lorsque celui-ci prend fin, à l’automne 1918, avec la fin (ou, tout du moins, la baisse drastique) des livraisons à l’Armée française, l’entreprise, comme beaucoup d’autres, doit alors songer à se reconvertir, ou, plutôt, à élargir ses activités. Une diversification qui va, notamment, passer par la production automobile.
Si la nouvelle Léon Paulet type 6 AB qui est présentée au Salon de Paris d’octobre 1921 (le premier de l’après-guerre) qui est présenté sous les verrières du Grand-Palais, non loin de l’Hispano-Suiza H6, qu’elle semble vouloir concurrencer, tout comme cette dernière, ne se veut guère très avant-gardiste dans sa fiche technique, celle-ci ne présente pas moins des caractéristiques qui en font une voiture très moderne pour l’époque. Son moteur 6 cylindres se voit ainsi équipé d’une culasse détachable, d’un vilebrequin sur sept paliers, d’une distribution par arbre à cames en tête, un double allumage par système Delco (constitué d’une batterie et d’un allumeur), d’une alimentation assurée par un carburateur Zénith à double corps, d’un double système de freinage : sur les quatre roues ainsi que sur la transmission ; d’une suspension par ressorts semi-elliptiques secondée, en option, par des amortisseurs, etc.
Ainsi doté, le 6 cylindres en ligne de 3,5 litres conçu par Arthur Michelat développe 85 chevaux, ce qui permet d’entraîner la Léon Paulet 6 AB à environ 130 km/h (tout au moins lorsqu’elle est équipée de carrosserie légère). Si sa boîte qui ne comporte que trois vitesses ne semble guère la plus appropriée pour exploiter au mieux le potentiel de la mécanique (bien que l’Hispano H6 n’en comporte que trois elle aussi), du fait de son empattement assez conséquent (3,25 m dans sa version « normale » et 3,50 mètres dans sa version longue), elle n’est toutefois pas vraiment destinée à la conduite sportive.
Sans doute afin de satisfaire aux souhaits d’une partie de la clientèle visée, une nouvelle version recevant un moteur porté à 4 litres et 100 chevaux est présentée l’année suivante, lors du Salon de Paris de 1922. Celle-ci se distinguant également par le montage d’une nouvelle boîte à quatre vitesses ainsi que d’un servofrein à dépression. Cette nouvelle transmission en améliore les performances routières et offre un meilleur agrément de conduite.
Ni plus flamboyante que ses concurrentes de l’époque, malheureusement pour elle et pour son créateur, la Léon Paulet ne connaîtra pas un destin et une carrière aussi étincelante que l’espérait ce dernier et qu’elle aurait probablement méritée. Outre le fait que la marque ne pouvait se prévaloir d’un passé (et donc d’aucun prestige particulier) dans le domaine automobile, l’autre handicap majeur qui explique sans doute, en grande partie, que la Léon Paulet n’ait connue qu’une carrière fort discrète est que son constructeur ne l’ait jamais inscrite dans aucune des grandes épreuves sportives de l’époque.
Une erreur stratégique de taille, la compétition automobile étant alors un secteur de promotion important, voire incontournable, pour un grand nombre de constructeurs automobiles, surtout ceux spécialisés dans les modèles de sport et de prestige. Il est vrai aussi que l’absence totale d’expérience dans l’industrie automobile – notamment en ce qui concerne la promotion publicitaire de ses modèles – ainsi que l’absence d’un véritable réseau de distribution ainsi que d’agents en dehors de la région de Marseille n’aide pas à l’amélioration des ventes.
Les derniers exemplaires de la 6 AB sont réalisés et livrés en 1926 ou 1927, la firme cessant alors toute activité dans le domaine automobile.
L’ingénieur Arthur Michelat, partira alors chez Citroën, où il travaillera sur les moteurs des modèles C4 et C6, avant de faire son retour chez Delage en 1933, où il assurera la conception des motorisations de la plupart des modèles produits par la marque durant les années 1930, à l’image des Delage D6 65, D8 et D8 85.
Le nombre exact de châssis de la Léon Paulet 6 AB qui ont été produits, les estimations les plus fiables établissant celui-ci entre 200 et 300 exemplaires. Le nombre exact d’exemplaires survivants est lui aussi inconnu (les archives concernant sa production ayant malheureusement disparu) mais il ne doit certainement pas être fort élevé. Au début des années 2000, il n’y avait, en tout et pour tout, que trois survivantes connues, dont l’une appartient à la famille du constructeur !
Maxime DUBREUIL
Photos WIKIMEDIA
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=2eG4NN8RW2Q&ab_channel=Jean-NoelRossignol
D’autres françaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/03/matford-les-ford-alsaciennes/