CHEVROLET CORVETTE C4 – Raie ou requin ?
Dire que la quatrième génération de la Corvette ne naît pas vraiment sous les meilleurs auspices tient sans doute presque de l’euphémisme. Si sa devancière, la C3 (un code qui, comme l’on peut aisément s’en douter, signifie, tout simplement : Corvette 3e génération) peut certainement se vanter (aujourd’hui encore) d’être celle qui, dans toute l’histoire de la lignée, aura eu la plus longue carrière (quatorze ans au total, de 1968 à 1982) ainsi que d’avoir été l’une des plus produites.
Néanmoins, si elle a survécu à l’extinction de la première lignée des muscle cars, victimes de la flambée des primes d’assurance, avant même celle des prix de l’essence, celles-ci ne l’ont pas épargnés pour autant. Lorsque la Corvette C3 peut (enfin) faire valoir ses droits à la retraite, en plus du fait que son style, conçu à la fin des années soixante et caractérisé par des courbes assez prononcées (en particulier au niveau des passages de roues, à l’avant ainsi qu’à l’arrière) ne sont clairement plus dans le vent.
En ce début des années 80, l’heure est maintenant au style « cunéiforme », où, à l’exception des quatre roues, tout (ou presque) semble tracé à la règle et à l’équerre (un nouveau courant esthétique dont l’une des interprétations les plus célèbres, mais aussi les plus radicales, est certainement la Lotus Esprit dessinée par Giugiaro).
Autant dire que dans une Amérique touchée par une récession économique d’autant plus grave que deux crises pétrolières (celle engendrée par la guerre du Kippour en 1973 ainsi que celle consécutive à la révolution iranienne six ans plus tard), le sport et la vitesse ne sont plus du tout de mise, étant quasiment prohibée (de manière non officielle mais, néanmoins, tout aussi concrète que l’était l’alcool dans l’Amérique des années 1920).
C’est pourquoi d’aucuns (aussi bien au sein de la division Chevrolet et du groupe GM dans son ensemble que du côté de la presse automobile s’interrogent (bien que pas toujours de manière ouvertement, d’un côté comme de l’autre mais de manière bien concrète) sur la pertinence du maintien de la Corvette au sein de la gamme Chevrolet.
Au sein de General Motors, une page s’était déjà tournée avant que la Corvette C3 ne quitte la scène, puisque deux de ses « pères », le styliste William « Bill » Mitchell (qui dirigera d’ailleurs le bureau de design de la GM à partir de 1958 et supervisera étroitement la conception des deuxième et troisième générations de la Corvette) ainsi que l’ingénieur Zora Arkus-Duntov sont partis à la retraite peu de temps auparavant. Harley Earl, le prédécesseur de Mitchell, de son côté, a qui l’on doit la première génération de la Corvette (laquelle s’inspirait plus, si non par ses lignes, en tout cas par son concept, des roadsters britanniques) étant décédé en 1969.
Le successeur de Bill Mitchell, Irvin Rybicki (bien que travaillant chez GM depuis 1944 et avoir supervisé, de manière simultanée ou successivement la conception du style extérieur des modèles des différentes divisions du groupe) n’aura, malheureusement pour lui, ni un talent ou un charisme aussi grands que ceux de son prédécesseur. A sa décharge, il faut néanmoins reconnaître que les temps ont changé et que la nouvelle génération de la Corvette va être conçue et voir le jour dans une époque si pas plutôt sombre, à tout le moins assez morose.
Au sein des constructeurs américains (aussi bien du côté de Ford et Chrysler que de General Motors), les modèles sportifs (ou, tout au moins, se présentant comme tels) doivent « rentrer dans le rang » et donc se faire plus « politiquement corrects » (qu’il s’agisse de leur style extérieur ainsi que de leurs performances). Néanmoins, la Corvette a toujours eu un « statut à part » (aussi bien au sein du constructeur qui l’a créé que sur le marché ainsi que dans l’esprit du public en général et des aficionados en particulier) et qu’elle est déjà devenue une sorte « d’icône ». Ce qui sera l’une des raisons qui permettront de lui éviter l’échafaud (auquel la promettaient pourtant certains cadres de la GM, tous ceux travaillant au sein des groupes automobiles n’étant pas pour autant, contrairement à ce que certains pourraient penser, des amateurs d’automobiles).
Mais ne va, toutefois, pas faciliter (et même assez sérieusement compliquer) la tâche des stylistes (ou designers, comme l’on dit aujourd’hui), lesquels auront donc pour mission de préserver sur la nouvelle génération tous les fondamentaux du style de la Corvette apparu (pour la plus grande partie d’entre-eux) sur la seconde génération, en 1962 (à partir de laquelle la Corvette est devenue la sportive que tout le monde connaît aujourd’hui) tout en parvenant à l’adapter au mieux au nouveau contexte sécuritaire et souvent anti-vitesse de l’Amérique des années Reagan. Un vaste programme souhaitant, en quelque sorte, parvenir à réunir « le meilleur des deux mondes » (ce qui subsiste de l’ancien avec les exigences du nouveau).
Si le résultat connaîtra, dès le départ, le succès espéré par son constructeur et ses concepteurs, il n’en reste pas moins que ceux-ci (surtout au départ) ont probablement dû sentir ou voir une partie de leurs cheveux blanchir (voire même, tout simplement, se les arracher), tant l’objectif s’annonçait plutôt ardu. D’autant qu’en plus de ses rivales « traditionnelles », c’est-à-dire celle des GT européennes (par son caractère « radical » sur un certain nombre de points, notamment le fait que, contrairement aux autres sportives américaines, elle ne possède que deux places, la Corvette n’a pas de véritable concurrente directe au sein de la production américaine), la concurrence s’est diversifiée et donc élargie. Notamment avec l’apparition sur le marché américain des nouvelles GT venues du pays du Soleil Levant, en particulier la Nissan 300 ZX et Toyota Supra, sans compter celles qui s’ajouteront au fil des années, comme la troisième génération de la Mazda RX-7 ainsi que la Mitsubishi 3000 GT et qui, comme au Japon, connaîtront également un large succès au pays de l’oncle Sam.
Les hommes du bureau d’études (stylistes comme ingénieurs) ainsi que les cadres de Chevrolet et GM savent donc que le public les attendra au tournant, qu’ils n’auront sans doute pas droit à l’erreur, qu’ils devront donc viser juste et atteindre l’essentiel de leur cible dès le premier coup et prouver que la future Corvette C4 est digne de l’appellation. C’est d’ailleurs bien afin de peaufiner du mieux possible sa nouvelle arme que les responsables de la division Chevrolet, ainsi que les dirigeants de General Motors décide de ne pas précipiter les choses et de repousser la présentation de la nouvelle C4 dans le courant de l’année 1983.
Avec pour conséquence qu’alors que celle qui est pourtant la doyenne des sportives américaines célèbre ses trente ans cette année-là, il s’agira, depuis le lancement de la première génération en 1953, du seul millésime où la Corvette sera absente du programme de production de la GM ainsi que du catalogue Chevrolet. Si cela n’aura (heureusement) aucune véritable conséquence sur la suite de la carrière de la C4, il n’en reste pas moins qu’au niveau de la symbolique, cela fait quelque peu mauvais effet. A l’origine, il semble que cette nouvelle mouture avait bien été prévue pour être présentée à la fin de l’automne 1982, au même moment que le reste des modèles de la gamme Chevrolet (ainsi que des autres divisions de la GM) et commercialisée donc à l’occasion du millésime 1983.
Le constructeur se retrouva toutefois confronté à des problèmes au niveau des fournisseurs concernant la qualité d’un certain des éléments de la C4 ainsi que des changements sur les chaînes de l’usine de Bowling Green (dans le Kentucky, laquelle possède l’exclusivité de la production des Corvette depuis 1981). La mise en place des nouvelles matrices pour l’assemblage de la nouvelle génération ayant pris plus de temps que prévu. Bien que dévoilée au public dans le courant de l’année 83, les modèles de la gamme Chevrolet (comme ceux des marques Buick, Cadillac, Oldsmobile et Pontiac) arrivent alors presque en fin de millésime.
C’est pourquoi ce n’est que quelques mois plus tard, à l’occasion du la présentation des voitures de l’année-modèle 1984 que la nouvelle Corvette sera donc officiellement commercialisée. Le spectre des deux crises pétrolières (en particulier celle de la dernière, celle de 1979, même si ce ne fut pas, sur bien des points, la pire de deux) est encore bien présent dans les mémoires (en Amérique comme en Europe). Toutefois, si les constructeurs de Detroit n’ont pas encore entièrement fini de panser leurs plaies, les acheteurs comme les constructeurs n’en souhaitent pas moins pouvoir tourner, le plus rapidement possible, la page de ces années sombres.
De plus, même si elle n’en a pas moins été quelque égratignée, la Corvette n’en conserva pas moins une aura, en grande partie, intacte et l’état-major de General Motors, en ayant bien conscience, étant bien jouer dessus pour assurer le succès de celle qui entend se présenter, à bien des égards, comme la « Corvette des temps modernes ». En ce qui concerne ses fondamentaux, tant d’un point de vue esthétique que sur le plan technique, le public en général et les fans du modèle en particulier ne sont pas véritablement dépaysés, tant on reste (sur de nombreux points, tout au moins en terrain connu).
Même si cela n’empêchera pas le père des deux précédentes générations de la Corvette, Bill Mitchell, de se montrer assez critique concernant cette quatrième et nouvelle génération, ainsi qu’il le confiera dans une interview donnée en 1984 au magazine Consumer’s Guide « J’aurais mis plus de souplesse dans ses lignes. J’aurais envisagé des lignes moins aérodynamiques, mais j’aurais ajouté des courbes. De même qu’un requin est bien plus intéressant étudier qu’un mérou. Les formes et les couleurs d’un squale, son galbe suscitent la contemplation. Davantage qu’un mérou, en tout cas ! J’aime posséder une voiture qui, lorsque je la sors, subjugue et détourne les regards. Tel n’est pas le cas de cette C4… ». Si l’on peut aisément comprendre le regard plutôt acerbe et sans concession porté par Mitchell, il faut toutefois nuancer quelque peu celui-ci en rappelant que les designers (au sein du bureau de style de la GM ainsi que de ses concurrents) passaient désormais plus de temps à (tenter) de décrypter les nouvelles normes sécuritaires que de laisser s’exprimer leur créativité.
Sur ce dernier point, il n’est d’ailleurs pas exagéré de dire que la quatrième génération de la Corvette n’est finalement ou en grande partie qu’une C3 relookée. Sous son imposant capot, on retrouve, en effet, le même V8 Crossfire de 5,7 litres développant 200 chevaux, que celui qui équipait cette dernière dans ses derniers millésimes. Si celui-ci peut se targuer (comme souvent sur les moteurs américains, en particulier s’agissant des V8) d’une excellente robustesse, il n’en est, par contre, pas vraiment de même s’agissant de sa boîte de vitesse, assez complexe, ainsi que de son système d’injection monopoint. (Une technique que les constructeurs américains maîtrisaient encore mal en ce début des années 80, ce qui explique que beaucoup de leurs modèles restent encore fidèles aux carburateurs, qu’il s’agisse des sportives comme des modèles de tourisme classiques).
S’il est vrai que beaucoup (tant au sein de la clientèle visée que de la presse automobile) ne se priveront pas de pointer un rapport ch/l assez modeste (pour ne pas dire plutôt décevant), dans ce domaine, les autres GT américaines comme le reste des modèles de la catégorie, même dans leurs versions les plus puissantes, ne font alors guère mieux).
Concernant la transmission, si la boîte automatique (comme il est encore souvent de règle chez les américains) équipe la Corvette de série, l’acheteur a, néanmoins, la possibilité d’opter pour une boîte de vitesses manuelle (proposée sans supplément de prix), de type « »4 + 3 ». (Les trois rapports supérieurs étant commandés par un système d’overdrive, lequel, à partir de 1985, pourra être actionné manuellement par un bouton placé sur le pommeau du levier de vitesses). A l’image du système d’injection « maison », cette transmission manuelle, bien que n’étant pas dépourvue de qualités, ne sera pas vraiment un modèle en matière de fiabilité, s’avérant même assez délicate à manier et plutôt fragile en ce qui concerne sa durée dans le temps. Elle finira d’ailleurs par être remplacée, en 1989, par une nouvelle boîte mécanique à 6 rapports d’origine ZF, nettement plus fiable et solide.
Chevrolet et GM sont toutefois conscients, dès le départ, que, même si elle entend plus être une GT qu’une sportive « pure et dure » (et est donc, avant tout, plus destinée au « cruising » qu’à faire des runs au feu rouge), le manque de puissance de la nouvelle Corvette risquait de refroidir une partie de la clientèle (laquelle préférait alors se tourner vers d’autres rivales, notamment européennes, disposant de plus de chevaux sous leur capot). C’est pourquoi celle-ci se verra équipée, dès l’année-modèle 85, d’une injection d’origine Bosch (la firme allemande étant d’ailleurs l’une des pionnières dans ce domaine, son système étant aussi, pendant longtemps, l’un des seuls à être réellement fiable). Ce qui permettra ainsi au V8 Crossfire d’atteindre les 230 chevaux, tout en abaissant (d’après les données fournies par le constructeur) sa consommation de 11 %.
Le millésime suivant (1986) sera encore plus important, non seulement, dans l’histoire de la C4 mais aussi, plus généralement, dans l’histoire de la Corvette car il verra le retour du cabriolet après plus de dix ans d’absence. Celui-ci avait, en effet, été supprimé de la gamme Chevrolet, ainsi que de celle des autres divisions de la GM (à l’exception de la Cadillac Eldorado, qui se verra offrir le « privilège », ou, plutôt, le sursis de la conserver un ultime millésime). A la fois à cause des difficultés d’adaptation des voitures décapotables aux nouvelles normes sécuritaires très strictes de l’époque ainsi que d’une baisse importante de la demande pour ces dernières.
Si le coupé restera (assez logiquement) et comme sur les deux générations précédentes, la version la plus prisée des amateurs, la Corvette C4 cabriolet représentera néanmoins, sur cette génération, au minimum, un quart des ventes et jusqu’à 35 % durant les meilleures années, preuve que la demande pour une sportive américaine décapotable était nettement revenue à la hausse.
Sur le plan technique, l’ensemble des versions de la Corvette reçoivent, au même moment, un système de freinage optimisé avec le montage en série de l’ABS, le V8 bénéficiant, de son côté, à partir de l’année-modèle 87, de nouvelles culasses en aluminium (même si le gain de puissance est assez faible, puisqu’il n’est que de… 5 ch seulement). Extérieurement, les Corvette produites à partir de l’année-modèle 86 se reconnaissent, à l’arrière, à leur troisième feu-stop, placé au-dessus de l’emplacement de la plaque d’immatriculation et de l’inscription « Corvette ». Un changement engendré par les nouvelles lois américaines sur la sécurité routière.
Si les performances de la Corvette C4 sont loin ridicules, elles restent pourtant bien en deçà de celles que délivraient les anciennes C3 de la grande époque des muscle cars (à la fin des années 60 et au début des années 70), avec leurs imposants big blocks atteignant jusqu’à 7 litres et pas moins de 400 chevaux. Même au sein de la catégorie (en tout cas, au sein des GT nippons et européennes, il est possible de trouver des modèles plus puissants aux mêmes prix ou à peine plus cher). C’est pourquoi les responsables du programme Corvette présentent alors une nouvelle version exclusive à hautes performances dont la conception n’est, toutefois, pas l’oeuvre des ingénieurs du bureau d’études de la GM mais d’un préparateur extérieur, du nom de Callaway.
Celui-ci a opéré la greffe de deux turbos sur le moteur Crossfire, permettant alors à celui-ci un bond très significatif et même assez important de sa cavalerie, puisque celle-ci passe alors à 345 chevaux (et même jusqu’à 382 dès 1988). Elle figurera au catalogue de la Corvette et vendue donc par les concessionnaires Chevrolet comme n’importe quelle autre version de série de cette dernière. La Corvette Calaway fait cependant payer (très) cher ce supplément de puissance (même si celui-ci est loin d’être négligeable) puisque la transformation, à elle seule, était vendue près de… 20 000 $ de l’époque ! (un tarif qui passera même à près de 26 000 dollars sur la nouvelle version). Ce à quoi, il faut, bien évidemment, ajouter celui du modèle de série sur lequel la transformation en question sera réalisée. (A signaler que si elle fut réservée au marché nord-américain, elle ne fut toutefois jamais disponible dans l’Etat de Californie, car elle ne pouvait répondre à la législation locale, plus sévère que dans le reste des Etats-Unis).
Au vu de ce tarif assez prohibitif (pour ne pas dire exorbitant), il est même presque étonnant que, durant les quatre ans de présence de cette version « high performances » au sein de la gamme Corvette (jusqu’en 1991) près de 500 acheteurs aient accepté de signer un chèque d’un tel montant pour cette « Super-Corvette ». (D’autant plus étonnant qu’il convient de rappeler qu’en dehors des versions big blocks mentionnés précédemment, lesquelles ne connaîtront qu’une existence éphémère dans l’histoire de la Corvette, celle-ci, depuis le lancement de la première génération, s’était toujours présentée, avant tout, comme une sportive populaire).
Les versions « courantes » de la Corvette, de leur côté, verront à nouveau leur puissance augmentée à nouveau (mais de… 5 ch seulement, une fois encore) en 1988. Toujours concernant l’aspect technique, le freinage se voit, quant à lui, offrir une nouvelle remise à niveau avec le montage d’étriers équipés d’un système à doubles pistons. Si l’année-modèle 1989 verra, de son côté, (comme mentionné plus haut) le remplacement de la peu agréable et peu fiable transmission manuelle « maison » par une nouvelle boîte manuelle ZF, le plus grand et vrai événement de celle-ci sera la présentation d’une nouvelle version haut de gamme et à hautes performances de la Corvette C4 : la ZR1.
Si le moteur que l’on retrouve sous son capot est toujours le V8 « originel » de 5,7 litres, celui-ci a toutefois été confié aux bons soins des ingénieurs de Lotus. (Le constructeur britannique étant alors, depuis 1986, une filiale de General Motors et, à côté de la fabrication de ses petites sportives et GT ultra-légères, travaillait aussi, dès ses débuts, comme préparateur pour plusieurs grands constructeurs). Son assemblage étant toutefois assuré, de son côté, par la société Mercury Marine (laquelle, comme son nom le laisse indiquer, est, avant tout, spécialisée dans la production de moteurs de bateaux mais travaille aussi, occasionnellement et pour le compte des constructeurs américains, à la préparation des moteurs destinés à la compétition.
Par rapport à la version que l’on retrouve sur la Corvette « de série », le V8 de la ZR1 se distingue par sa construction entièrement en aluminium ainsi qu’à sa culasse dotée de quatre arbres à cames en tête ainsi que de 32 soupapes (quatre pour chaque cylindre donc), rien de moins. Si la première version affichait déjà 375 ch, la puissance du moteur Chevrolet-Lotus grimpera encore, puisqu’elle atteindra, au final, 405 chevaux à l’occasion du millésime 93.
S’agissant de la partie esthétique, si, au moment de son lancement, elle reste encore identique ou presque à la C4 « standard », elle acquérera cependant sa personnalité propre lors de l’année-modèle 90, à l’occasion duquel elle recevra un lifting qui concernera principalement sa partie arrière, avec de nouveaux feux carrés (alors qu’ils étaient, jusqu’ici, circulaires, comme sur les autres versions de la Corvette), un pare-chocs ainsi qu’un panneau convexe donnant à la face arrière une forme convexe (et non plus concave) ainsi que des ailes élargies (afin de conférer à la ZR1 une ligne plus agressive mais aussi de lui permettre d’accueillir des pneumatiques plus larges eux aussi.
Lorsque cette nouvelle « Super-Corvette » quittera, à son tour, la scène, à la fin de l’année 1995, ce seront, au total, un peu plus de 6 900 exemplaires qui seront sortis des ateliers de l’entreprise Mercury Marine. Un très beau score lorsque l’on sait que la ZR1, en plus d’être (sensiblement) plus puissante que la Corvette Callaway s’offrait également le luxe d’être affichée à un tarif plus élevé encore : près de 59 000 dollars au total (à titre de comparaison, le prix d’une Corvette de base était de près de 31 800 dollars).
Malheureusement pour les amateurs français de la Corvette et comme cela avait aussi été le cas pour la version préparée par Callaway, la ZR1 ne sera (en tout cas officiellement) disponible dans l’Hexagone, même si l’on sait qu’une poignée d’exemplaires furent vendus neufs à l’époque à quelques privilégiés. (Ce que l’on appelle une Réception ou une Importation à titre isolé, les propriétaires, aussi privilégiés que fortunés, devant toutefois accepter, en contrepartie, de se charger eux-mêmes des démarches d’importation, souvent longues et difficiles).
Si, comme il est alors, depuis longtemps d’usage (sur les sportives ainsi que sur l’ensemble des modèles de la production américaine, tous genres et tous modèles confondus) que chaque millésime apporte son lot de changements (tant sur le plan technique qu’esthétique, plus ou moins importants suivants les années), il y a aura, toutefois, dans le cas de certaines nouveautés, un écart assez important entre l’annonce de celles-ci et leur arrivée effective sur les exemplaires de série.
Il en sera ainsi du système de détection de sous-gonflage des pneus, annoncé en 1987 mais pour lequel les acheteurs de la Corvette devront encore patienter durant deux ans pour que celui-ci se retrouve sur leurs voitures. Toujours à l’occasion de la présentation des Corvette de l’année-modèle 1990, celles-ci reçoivent un nouveau tableau de bord au dessin plus moderne, abandonnant les lignes tracées à la règle et à l’équerre que l’on retrouvait sur les C4 depuis leur lancement au profit d’une casquette de forme arrondie englobant également la partie centrale (orientée vers le conducteur, sans doute inspiré par ce qui se fait à l’époque chez BMW) et se prolongeant en pente jusqu’à la console centrale.
En ce début des nineties, l’instrumentation entièrement digitale est maintenant quelque peu passée de mode. Si le nouveau tableau de bord se distingue, également, par le retour d’une partie de celle-ci à l’affichage analogique, il n’en conserve pas moins une ambiance rappelant, sur certains points, la Pontiac Trans Am de la série K2000 ou d’avion de chasse avec l’éclairage de son instrumentation en rouge, orange et jaune. Parmi les instruments de bord pour lesquels le constructeur a pris soin de conserver l’affichage digital figure le compteur de vitesse, celle-ci s’affichant sur le cadran orange placé en plein centre du champ de vision du conducteur. (Un choix dû au fait qu’il est toujours considéré comme étant « politiquement incorrect » et même illégal dans certains Etats américains que la vitesse affichée sur un compteur soit supérieure à la limite autorisée par la loi dans les Etats concernés).
Si la volonté d’offrir un habitacle présentant une meilleure ergonomie ainsi qu’une meilleure finition que sur les C4 de la première série est évident et, dans les deux cas, le progrès est bien réel, le résultat reste, toutefois, encore quelque peu en deçà de celle d’une Porsche 911 ou 928. Parmi les améliorations notables, il faut mentionner, sur le plan pratique, l’aménagement d’une boîte à gants pour le passager ainsi que, en ce qui concerne la sécurité, le montage d’un airbag pour le conducteur. (L’airbag étant encore considéré comme un équipement du haut de gamme, qui restait donc le privilège des voitures de haut de gamme). D’où la présence de l’imposante partie centrale du volant des nouvelles Corvette, plus moderne que l’ancien mais d’un aspect moins sportif et, surtout, moins élégant (même si, dans ce domaine, il y eut alors pire et pas uniquement sur les sportives américaines).
Autre progrès technique, l’indicateur d’huile dont les indications sont fournies au conducteur en fonction de la température de celle-ci ainsi que sur le régime moteur. Un système assez ingénieux présentant l’avantage de permettre de connaître le moment précis où la vidange et le remplacement par de l’huile neuve doivent être réalisés.
Est-ce afin que l’amateur qui (faute de moyens suffisants) devait se contenter de la version « courante » de la Corvette ne sente plus « dévalorisé » face aux propriétaires de la version ZR1 ou parce que le nouveau dessin de la partie arrière de cette dernière avait fait des envieux parmi les premiers ? Sans doute les deux. En tout cas, à partir de l’année-modèle 91, la version « standard » bénéficiera du même style que la ZR1 (au détriment peut-être de cette dernière, car cette perte de sa spécificité sur le plan esthétique aura des répercussions sur les ventes, qui commenceront alors sensiblement à baisser). Un autre lifting (général, celui-ci) sera aussi appliqué à la partie avant (les nouvelles Corvette produites à partir de ce millésime se reconnaissant, entre autres, à leurs bandes optiques inférieures allongées) permettant de rajeunir la silhouette de la C4.
Le millésime suivant (1992) sera, quant à lui, marqué par une étape ainsi qu’un progrès important concernant la partie mécanique, avec le montage du nouveau V8 type LT1 (une dénomination déjà utilisée, lors du début de la carrière de la Corvette C3 pour désigner les versions big blocks), délivrant 300 chevaux (très exactement) qui devient alors la nouvelle motorisation de base. Une augmentation de puissance qui s’accompagne aussi du montage en série de l’antipatinage (lequel peut toutefois être déconnecté pour les adeptes d’une conduite vraiment « sportive » et pouvoir profiter au maximum du potentiel du V8).
En ce début de la dernière décennie du 20e siècle et alors qu’elle approche pourtant des quarante ans d’âge, la Corvette demeure toujours une icône, tant au sein de la production américaine que dans la catégorie des GT sportives et son succès ne se dément pas. Une nouvelle preuve de ce succès est la sortie de chaîne, au début du mois de juillet 92, du millionième exemplaire (toutes versions et générations confondues), sous la forme d’un cabriolet de couleur blanche). Si la Corvette a alors acquis, depuis longtemps déjà, une aura mythique, des deux côtés de l’Atlantique, son image ainsi que sa place sur le marché automobile ne sont, toutefois, pas tout à fait les mêmes sur l’Ancien et le Nouveau Continent. Au pays de l’oncle Sam, elle est, en effet, considéré, avant tout et surtout, comme une sportive populaire, à l’image, donc, de ce qu’était à l’époque les 205 et Golf GTI pour nous autres européens (s’agissant, toutefois, de ses versions « courantes », celles revisitées par Callaway.
Alors qu’en Europe (où, comme la grande majorité des Américaines de grosses cylindrées, son prix de vente se voit fortement majoré par les taxes d’importation et d’immatriculation), elle est considérée, à bien des égards, comme une GT de prestige. A son lancement, les revues automobiles européennes la rangeant d’ailleurs dans la même catégorie que la BMW 635 CSI, la Ferrari 308 QV, la Jaguar XJS V12 ou encore la Porsche 928. Il est vrai, également, qu’en 1984, la Corvette, même dans sa version originelle, n’était pas vraiment ce que l’on pourrait appeler une sportive « bon marché », puisqu’elle était affichée, sur le marché français, près de 300 000 Francs (soit 20 000 F de plus que la Jaguar et 30 000 F de plus que la BMW, alors que la première citée revendiquait presque 100 ch de plus !).
Sans même parler de la (très) performante et élitiste ZR1, laquelle, s’il est vrai qu’elle peut revendiquer près de double de la puissance de la première version de la Corvette C4, comme mentionné plus haut, vend néanmoins à un tarif (certes, assez justifié mais qui n’en reste pas moins) fort élevé le fait de pouvoir revendiquer le surnom de « Ferrari américaine » : environ 550 000 Francs (le terme « environ » est voulu, car il faut rappeler ici qu’elle ne fut jamais, officiellement, vendue sur le marché français). Soit 32 000 F de plus qu’une Jaguar XJR-S (pourtant nanti d’un V12 retravaillé par le préparateur britannique TWR et qui, avec 318 chevaux, peut se vanter d’être la plus puissante des versions de série jamais créée sur base de la XJS). Même s’il est vrai que la ZR1 présente, malgré tout, un très bon rapport prix/performances, ses rivales allemande et italienne étant, quant à elles, affichées, respectivement, 37 500 et 64 000 F plus chères. Avec 375 chevaux, la « super-Corvette » préparée par Lotus surpassant également la plupart de ses rivales en termes de puissance (soit 75 ch de plus qu’une Ferrari 348, 57 de plus par rapport à la XJR-S et 45 de plus que la 928 GT).
Les cadences de production au sein de l’usine de Bowling Green, où la production en grande série sur des chaînes où les robots ont, en grande partie, supplantés la main de l’homme, étant, évidemment, « cent fois » supérieures à celles en vigueur à Maranello où la production restait encore, sur bien des points, assez « artisanale ». Au cours de son histoire et des différentes générations qui se sont succédé, la Corvette a souvent inauguré des avant-premières techniques ou technologiques au sein des productions de la GM (les plus connues étant, évidemment, la carrosserie en matière plastique ainsi que l’alimentation par injection).
Certaines sont toutefois moins connues que d’autres (tout au moins en dehors des fans les plus érudits), sans doute parce que ces dernières apparaissent comme étant plus « anecdotiques ». A l’image du système de protection antivol intégré à la clé de contact (qui sera aussi, plus communément, appelé le transpondeur). Lequel deviendra pourtant rapidement incontournable sur la plupart des voitures américaines dans le courant des années 90 et qui, s’il fait aujourd’hui et depuis longtemps déjà, parti de l’équipement de base de n’importe quelle voiture, même les plus basiques, était alors un « gadget » réservé aux seuls modèles de sport et de prestige.
Si l’année-modèle 1994 restera, dans l’ensemble, assez « calme » pour la Corvette C4, sans modifications techniques ou esthétiques majeures donc, plusieurs changements méritent néanmoins d’être mentionnés. Entre autres, le passager bénéficiant, désormais, lui aussi d’un airbag, une boîte de vitesses automatique au fonctionnement amélioré ainsi qu’un système de descente automatique de la vitre de la portière du conducteur. Il faut aussi mentionner que cette année verra l’ouverture du musée dédié à l’histoire de la Corvette, sur le site de l’usine de Bowling Green. Lors du millésime suivant (1995), la seule modification extérieure notable, qui permette de reconnaître les dernières Corvette C4 sera le montage d’une nouvelle grille d’entrée d’air redessinée. C’est aussi cette année-là que la très sportive et élitiste ZR1 quitte la scène.
A l’image de la C3 qui avait déjà eu droit à cet honneur en 1978, la C4 endossera, elle aussi, en 1995, le rôle de Pacer Car lors de la célèbre course des 500 Miles d’Indianapolis. Comme pour sa devancière, elle aura droit à une série limitée, produite à 527 exemplaires, même si les différences par rapport aux Corvette de série se limiteront, en grande partie, à une décoration spécifique sur la carrosserie.
Même si l’année-modèle 96 sera la dernière pour la quatrième génération de la Corvette, Chevrolet et General Motors ne la négligent pas pour autant et, sans doute afin de lui permettre, d’une certaine façon, de « finir en beauté », elle se voit offrir un nouveau V8 (optionnel toutefois, disponible aussi bien sur le cabriolet que sur le coupé), recevant la dénomination LT4, affichant une puissance de 330 chevaux (associée uniquement à la boîte de vitesses manuelle à 6 rapports) faisant ainsi de cette dernière, en dehors des versions Callaway et ZR1, la plus puissante des Corvette C4.
Comme cela avait été le cas sur la troisième et précédente génération, l’approche de l’heure de la retraite verra aussi l’apparition de deux nouvelles (et dernières) séries limitées : la Collector Edition (5 142 exemplaires). Comme cela avait été le cas pour la C3, celle-ci (qui se distinguait par sa peinture « Sebring SIlver », des jantes en alliage argentéeà cinq rayons, ainsi que des emblèmes et garnitures spécifiques sur les sièges) viendra conclure la carrière de la C4. Ainsi que la Grand Sport, laquelle se distingue par sa carrosserie peinte en bleu « Amiral », ornée en son centre d’une large bande blanche (présentée par GM comme un hommage à la version éponyme créée en 1963 sur la Corvette C2), plus rare encore puisque 1 000 exemplaires seulement (et pas un de plus) en ont été réalisés.
Lorsque la Corvette C4 tire sa révérence, à la fin du millésime 1996, elle aura été produite, au total, à un peu plus de 358 000 exemplaires (toutes versions et carrosseries confondues), un succès fort enviable, aux yeux de ses admirateurs comme de la direction de General Motors. Même s’il n’atteint pas celui de sa devancière, la C3 (laquelle peut s’enorgueillir d’avoir atteint plus de 542 000 exemplaires sortis d’usine entre 1968 et 82), le score réalisé par la C4 n’en reste pas moins fort enviable et prouvera, à ceux qui en doutait encore (au sein du public comme de l’état-major de la GM) que la Corvette restait, bel et bien, une icône ainsi qu’une institution aux yeux du public américain. Ce qui permettra à celle-ci de toujours brandir fièrement, dans les clips publicitaires télévisés ainsi que dans les pages des magazines ou dans les Salons automobiles, son célèbre slogan affirmant qu’elle reste « la seule véritable voiture de sport américaine ».
Même si, à partir du début des années 90, de nouvelles concurrentes, au premier rang desquelles la Dodge Viper (laquelle, surtout s’agissant de sa première génération, deviendra, elle aussi, une icône) tenteront, à la fois, de lui contester ce statut ainsi que de lui ravir cette place tant convoitée. Si cette dernière peut se prévaloir, elle aussi, d’une ligne ravageuse ainsi que de performances hors normes, elle présentera toutefois un handicap non négligeable, à savoir un prix de vente nettement plus élevé. Bien qu’avec la Viper, la Corvette ait trouvé un adversaire à sa mesure et que cette rivalité ait donné lieu à quelques beaux affrontements (tant sur la piste des circuits que dans les pages des magazines automobiles), le serpent créé par Chrysler ne parviendra toutefois jamais véritablement à vaincre la Corvette.
Preuve en est, celui-ci a finalement dû déposer les armes en 2017 (date de la fin de production de la quatrième et dernière génération de la Viper). Alors que la Corvette, de son côté et 70 ans après la présentation de la première C1, est toujours bel et bien là, en étant maintenant (déjà) à sa huitième génération (lancée en 2019).
Maxime DUBREUIL
Photos WHEELSAGE
La Corvette C3 https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/02/chevrolet-corvette-c3-le-requin-entre-mer-et-desert/