PEUGEOT VSP 4X4 – Le lion en tenue militaire.

A la Libération et durant les premières années de l’après-guerre, à l’image du reste de la France et de l’industrie automobile nationale, l’Armée française est alors en pleine reconstruction. Avec des usines détruites, durant les quatre années qu’a duré l’occupation du pays par l’Allemagne nazie, par les bombardements de l’aviation Alliée, lorsque ce ne sont pas par les pillages commis par l’occupant allemand ou les actes de sabotage dus aux réseaux de la Résistance, il est clair que les constructeurs français ne sont alors guère en mesure de pouvoir contribuer à renouveler son parc de véhicules. Qu’il s’agisse des tout-terrains, des poids lourds ou même des véhicules de combat comme les chars d’assaut, la France doit alors – en tout cas, dans un premier temps, se contenter du matériel – neuf ou d’occasion – « généreusement » fournis par ses alliés, à savoir l’Angleterre et les Etats-Unis. Même lorsqu’ils sont à l’état neuf et aussi robustes soient-ils, ces véhicules finissent eux aussi par accuser une certaine fatigue et l’état-major de l’Armée sait parfaitement qu’il faudra songer, sous peu, à les remplacer.

C’est pourquoi, dès 1947, celui-ci émet un appel d’offres auprès des construteurs français afin que ceux-ci se penchent sur l’étude d’un véhicule tout-terrain léger de reconnaissance destiné à remplacer les Jeep-Willys issus des surplus de l’US Army. Comme il est alors d’usage dans tout pays disposant d’une industrie automobile nationale d’envergure, il est alors indispensable – par soucis de « patriotisme » évident – de rouler dans des véhicules qui soient « 100 % français ». Une obligation qui vaut non seulement pour les militaires mais aussi pour tout service ou corps de métier dépendant directement de l’Etat – à l’image de la police, de la gendarmerie, des pompiers, des fonctionnaires du gouvernement ou encore des gardes forestiers.

Une telle commande, émanant, qui plus est, de l’Armée française elle-même – considérée comme l’un des piliers de la France et de la République, dans un pays qui vient à peine de sortir d’un conflit mondial et meurtrier – aurait, logiquement dû motiver fortement un grand nombre de constructeurs. Surtout parmi les plus importants d’entre-eux, avec l’importance qu’une telle commande aurait en termes de véhicules produits ainsi que de chiffres d’affaires. Malheureusement pour les responsables de l’Armée française, la plupart des constructeurs semblent avant tout préoccupper de terminer la reconstruction de leurs usines afin de pouvoir répondre à la demande, aussi pressante qu’importante, des véhicules « civils » – qu’il s’agisse des voitures de tourisme comme des utilitaires. Les seuls à se pencher réellement sur l’étude de celle qui pourrait devenir la première « Jeep française » sont, pour la plupart – en tout cas du point de vue des chiffres de production – des « seconds couteaux », comme Delahaye et Mathis. Parmi les grands constructeurs, le seul à proposer un projet concret est Peugeot.

Comme pour les projets proposés par ses concurrents, celui du constructeur de Sochaux s’inspire étroitement, dans ses lignes et sa présentation comme dans son concept de la Jeep américaine. Ce qui est évidemment normal car, à la fin des années 1940 et au début des années 50, un véhicule tout-terrain est avant tout – pour ne pas dire uniquement – un engin de « labeur », destinée à pouvoir affronter les conditions les plus rudes et à rouler hors des sentiers battus, là où tous les autres véhicules – notamment lorsqu’ils n’ont que deux roues motrices – ne peuvent pas passer. Si vous n’étiez pas militaires de carrière ; policiers, gendarmes ou pompiers en zone rurale ou encore gardes forestiers, vous ne montiez à bord ou vous ne preniez le volant de ce genre d’engins que durant votre service militaire.

A l’époque, imaginez un tout-terrain qui pourraient franchir les rivières ou les pentes les plus escarpées tout en offrant l’équipement et le confort d’une voiture normale, voire même d’une berline de luxe, relevait, tout simplement, du domaine de la science-fiction ! Il faudra encore attendre une dizaine d’années, avec l’apparition de la Jeep Wagoneer aux Etats-Unis, au début des années 60 et celle du Range Rover, en Europe, en 1970 pour réussir cette alliance – qui paraissait, jusque-là, véritablement, contre-nature – et pour qu’émerge alors le concept de ce que l’on appellera plus tard les SUV. On est donc encore très loin à l’époque où l’Armée française cherche à se doter de ce qui sera le premier 4×4 national. Alors que Delahaye fait étudié une mécanique inédite pour celui qui sera baptisé le VLR (abréviation pour Véhicule Léger de Reconnaissance), la marque au lion, tant par pragmatisme ainsi que par souci de simplicité et d’économie autant que par « esprit maison » va, tout simplement, reprendre la base mécanique du seul modèle de voiture de tourisme qu’elle propose alors à son catalogue : la 203.

Depuis l’arrêt de la 202 – seul modèle de la gamme d’avant-guerre dont la production ait été reprise après la guerre -, la marque pratique, en effet, la politique du modèle unique. Un choix qui lui permet ainsi de focaliser ses efforts sur la catégorie où son image est la mieux établie – celle des modèles compris entre 8 et 11 CV fiscaux – ainsi que de terminer, en parallèle, la reconstruction de son outil de production. Avec la fin des restrictions – dans la livraison des matières premières comme pour l’achat des voitures neuves par les particuliers – et le retour d’une certaine prospérité économique – marquant ainsi le début d’une période qui sera surnommé « les Trente Glorieuses » -, les constructeurs, afin de rester compétitifs face à leurs concurrents, se verront, toutefois, bientôt obliger d’élargir leurs gammes. La fin de la « monoculture » chez Peugeot interviendra avec la présentation, en 1955, de la nouvelle 403.

Durant la première moitié des années 50, la 203 étant donc le seul modèle de tourisme figurant au catalogue de la marque, c’est donc, logiquement, celle-ci qui va prêter une grande partie de ses composants mécaniques pour le prototype du tout-terrain VSP. Le moteur est donc le quatre cylindres en ligne de 1,3 l et 42 ch, même le couple du moteur est loin d’atteindre le niveau attendu pour un usage en tout-terrain, surtout lorsqu’il s’agit de gravir ou de descendre des pentes escarpées. Si la Jeep-Willys de la Seconde Guerre mondiale était, elle aussi, équipée d’un quatre cylindres, celui-ci affichait des valeurs de couple nettement supérieures à celles de la mécanique de la lionne de Sochaux. Si la boîte de vitesses est, elle aussi, empruntée à la 203, elle bénéficie toutefois, ici, d’une quatrième surmultipliée, à laquelle a été ajoutée une boîte de transfert équipée de deux vitesses démultipliées spécifiquement dévolue à l’usage en tout-terrain hors des sentiers battus et sur les terrains les plus difficiles. La suspension est d’une architecture fort simple et qui, comparée à celle de la plupart des voitures de tourisme – même les plus modestes comme la Peugeot 203 – paraîtrait sans doute assez archaïques – en tout cas comparée à ce que seront plus tard les premiers 4×4 de prestige comme la Jeep Wagoneer et le Range Rover -, avec ses deux ponts rigides. Il faut toutefois rappeler ici que, sur un tout-terrain destiné, avant-tout et surtout, à un usage militaire, toute notion de confort et d’agrément à la conduite est totalement absente du cahier des charges, le principe est de faire appel à des solutions techniques largement éprouvées qui puissent endurer les traitements les plus durs. Ainsi que, en cas où une réparation et donc un changement de pièces sont absolument nécessaires, que celles-ci puissent être remplacées rapidement, par son conducteur ou ses occupants – c’est-à-dire par des personnes ne possédant que peu de notions de mécaniques -, en rase campagne ou mêm sur le champ de bataille avec un minimum d’outils. Tout comme la Jeep-Willys de l’Armée américaine, celle étudiée par Peugeot n’est pas un tout-terrain permanent. Comme à l’arrière, le pont avant est lui aussi moteur, celui-ci s’enclenchant par l’entremise du réducteur.

Constatant, dès les premiers essais, que le moteur qui équipe la VSP, en tout cas tel qu’il avait été conçu pour la berline 203, n’est guère adapté à un tout-terrain qui doit servir sous les drapeaux. La première cause du manque de couple de cette mécanique étant sa puissance trop limitée, il est alors décidé d’augmenter la cylindrée,qui passe ainsi à 1 468 cc grâce à l’accroissement de l’alésage – celui étant désormais de 80 mm au lieu de 75 au départ. Ces modifications mécaniques s’accompagnant, par ailleurs, d’une augmentation des voies, avec des trains avant et arrière élargis de 2 cm, des pneus de plus grandes tailles. La boîte de vitesses est aussi équipée d’une prise de mouvement – aussi appelée prise de force sur les tracteurs – afin de pouvoir transmettre à d’éventuelles machines l’énergie provenant du moteur. Un équipement qui n’a rien d’étonnant car, outre l’Armée française, l’autre usage pour lequel a été conçu ce 4×4 est le secteur agricole, ce qui est aussi le cas de la Delahaye VLR – le second prototype de la VSP ayant d’ailleurs reçu l’appellation de Voiture Agricole type 203 RA, le premier ayant, quant à lui, reçu la dénomination 203 R.

Malheureusement pour la direction et le bureau d’études du constructeur de Sochaux, ni l’Armée ni les agriculteurs français, dans leur ensemble, ne manifesteront un grand intérêt pour cette nouvelle Jeep « made in France ». Les premiers – qu’il s’agisse des appelés ou des militaires de carrière – simples soldats comme hauts gradés – qui utilisent au quotidien les VLR commencent rapidement à froncer les sourcils et à grincer des dents devant les problèmes de fiabilité et de mise au point qui affectent celle qui est pourtant le premier 4×4 français. La Jeep conçue par Delahaye se voyant alors bientôt forcée à prendre une « retraite anticipée », la direction de Peugeot y voit alors une nouvelle chance de convaincre les représentants de l’Armée de Terre avec une nouvelle version de la VSP. Baptisé 203 BR, elle se distingue des précédentes par des dimensions légèrement agrandies tout en bénéficiant d’un poids à vide revu à la baisse. Si elle reflète toujours la vocation première de l’engin, ses lignes ont toutefois été revues et elle ne reprend aucun élément de carrosserie des premiers prototypes et s’apparente même beaucoup, dans ce cas-ci, à celle de la VLR. Son habitacle présente aussi l’avantage d’offrir une habitabilité supérieure à celle de la Jeep.

Les nouveaux essais sur le terrain permettant, de leur côté, de résoudre assez rapidement les problèmes qui subsistaient jusqu’ici – comme la protection des éléments de la transmission et des trains roulants en tout-terrain, la lubrification de tous les éléments mécaniques, l’endurance des silentblocs et des autres éléments des suspensions, etc.

Au total, une douzaine d’exemplaires seront réalisés afin d’être confiés pour une nouvelle série d’essais en « conditions réelles ». Si ceux-ci montrent les progrès – bien réels – réalisés par rapport aux premières versions de la VSP, ils mettront aussi – à nouveau – en évidence – la difficulté qu’il y a souvent de pouvoir adapter – pleinement – à un usage militaire une mécanique d’origine civile. Malgré tous les efforts déployés par le bureau d’études de Peugeot afin de répondre pleinement aux souhaits et aux remarques émises par les responsables de l’Armée, il leur faudra pas moins de deux ans pour y parvenir.

Malheureusement pour la marque au lion, entretemps, les militaires sont retournés à la Jeep-Willys, ou, plutôt, à une version – légèrement – évoluée de cette dernière, produite sous licence par Hotchkiss. Un choix à la fois simple et pragmatique qui, aux yeux des décideurs de l’état-major présentaient de nombreux avantages : un budget d’achat et d’entretien bien moins élevé – qu’il s’agisse du VLR comme de la Peugeot VSP -, étant donné qu’il s’agissait d’un véhicule déjà bien connu des militaires. Une solution qui permettait ainsi de dispenser ceux-ci de la formation à la conduite et l’entretien d’un nouveau modèle et simplifiait aussi grandement la gestion des stocks. Les éleveurs et cultivateurs des campagnes aux quatre coins de la France pourront bientôt s’équiper – grâce à la priorité donnée par les Pouvoirs Publics, dans le programme de reconstruction du pays, outre les utilitaires, aux véhicules agricoles – de tracteurs spécialement conçus pour le travail dans les champs.

La VLR Delahaye et la VSP de Peugeot ne furent toutefois pas, en Europe, les seuls tout-terrains à tenter de séduire aussi le monde des campagnes. On peut aussi citer, notamment, la DKW Munga en Allemagne de l’Ouest ainsi que le Land Rover en Angleterre, mais seul ce dernier parviendra à conquérir ainsi bien la société rural que les champs de bataille.

Malgré des commentaires et des avis assez positifs de la part des militaires qui auront eu l’occasion d’en prendre le volant, ce nouveau projet d’une Jeep militaire portant l’emblème du lion de Sochaux restera finalement – et définitivement sans suite. Une fois rendus au constructeur, ils serviront de véhicules d’interventions anti-incendie sur le site de l’usine de Sochaux – un autre point commun avec la Delahaye VLR, qui elle aussi, avait également ambitionné d’intégrer le corps de pompiers, là aussi, malheureusement, sans succès.

Maxime DUBREUIL

Photos WKIMEDIA

D’autres Jeep https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/04/delahaye-vlr-la-premiere-jeep-francaise/

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