OLDSMOBILE – La doyenne sacrifiée (partie I).
Jusqu’à sa disparition en 2004 et depuis celle de Studebaker en 1966, Oldsmobile pouvait se vanter d’être le plus ancien constructeur américain en activité. C’est toutefois trois ans auparavant, au début du mois de septembre 2001 (quatre jours à peine avant les attentats qui provoqueront, entre autres, la destruction des tours jumelles du World Trade Center à New York) que la direction de General Motors avait officiellement rendu publique sa décision « d’euthanasier » celle qui avait pourtant été, durant longtemps, l’une des divisions les plus emblématiques du premier des trois grands groupes automobiles de Detroit. (Même s’il est vrai que celui qui était alors aux commandes du groupe GM, John Smith Jr, l’avait déjà annoncé (ou, tout du moins, sous-entendu), bien que de manières plus ou moins « voilée » ou indirecte au début de la même année. Il est vrai que cela faisait alors un certain temps déjà que la doyenne des marques américaines n’était sans doute plus, à bien des égards (notamment sur le plan commercial) que l’ombre de ce qu’elle avait été autrefois.
C’est à Ransom Eli Olds que l’on doit la création de la firme portant son nom, laquelle, lors de sa création, à la fin du mois d’août 1897, ne s’appelle, toutefois, pas encore Oldsmobile, les automobiles produites par ce dernier ne recevant ce nom que trois ans plus tard. Pour l’heure, dans ces dernières années du 19e siècle, il n’est encore question que de la Olds Motor Vehicle Company. Eli Olds n’ayant, cependant, pas attendu de se lancer, « officiellement », comme constructeur pour s’intéresser à l’automobile. Deux ans plus tôt, en 1895, il crée ainsi son premier moteur à explosion (après avoir été tenté, dans un premier temps, par le potentiel du moteur à vapeur). L’année suivante, en 1896, il réalise sa première automobile, sur laquelle est (évidemment) montée la mécanique qu’il a mise au point. C’est cette automobile en question qui sera le premier modèle proposé à la clientèle, même s’il faut reconnaître que les débuts commerciaux de la firme Olds sont encore quelque peu confidentiels.
Comme la quasi-totalité des premières automobiles produites à cette époque (en Amérique comme en Europe), ce premier modèle ressemble, à s’y méprendre, à une calèche dont on aurait simplement enlevé le dispositif pour l’attelage des chevaux. Seule la mécanique, placée sous les deux banquettes destinées au conducteur et aux passagers ainsi que les manettes pour la manoeuvre du véhicule (le volant ne faisant son apparition sur les voitures produites par Oldsmobile qu’avec la Light Tonneau en 1904) pour indiquer que l’on a bien à faire à une automobile et n’ont pas à une voiture à cheval. Le nombre exact d’exemplaires de ce tout premier modèle créé par Eli Olds reste, toutefois, aujourd’hui encore inconnu mais il ne doit, probablement, pas excéder cinq ou six exemplaires.
C’est à la même époque que les modèles prennent le nom d’Oldsmobile que la première usine où la firme avait installé ses ateliers ainsi que ses chaînes de montage sont détruites par un incendie en mars 1901. Par chance, le prototype du nouveau modèle que la marque s’apprêtait alors à commercialiser, le Model R (qui restera toutefois connu sous le nom de « Curved Dash », ou « tablier incuvré ») échappe aux flammes. Suite à cela, le constructeur décide finalement de transférer la production de ses automobiles dans une nouvelle usine située non loin de Detroit, à Lansing. Un déménagement qui sera finalisé quatre ans plus tard, en 1905.
Entretemps, la marque aura réussi, en quelques années seulement, à se bâtir une réputation fort enviable aux quatre coins de l’Amérique, sur un marché automobile qui, à l’aube de ce 20e siècle, est encore au stade « embryonnaire ». En deux ans à peine, entre 1901 et 1903, le Model R, ou « Curved Dash », animé par un moteur monocylindre placé en position horizontale et développant 4,5 chevaux, aura ainsi été produit à plus de 6 800 exemplaires, ce qui représente un véritable succès, surtout à une époque où Henry Ford n’a pas encore inventé la production à la chaîne et où, en plus d’être toujours assemblée, en grande partie, à la main, l’automobile est toujours réservée à une élite.
Si la production de la Curved Dash se poursuit jusqu’en 1907, le catalogue Oldsmobile s’enrichira au fil du temps de nouveaux modèles afin de pouvoir répondre au mieux aux attentes d’une clientèle dont les exigences se font plus précises et importantes au fur et à mesure que le marché automobile se développe. Le succès commercial remporté par les productions d’Oldsmobile suscitent aussi, assez rapidement, l’intérêt de William Durant, un homme d’affaires à la fois ambitieux mais également visionnaire, dont l’ambition n’est rien moins que de s’assurer la domination sur l’industrie automobile, non seulement aux Etats-Unis mais aussi (et plus encore) sur l’ensemble de l’Amérique du Nord.
Pour atteindre celle-ci, l’un des points essentiels du programme qu’il a établi est de réunir, au sein d’un même groupe industriel, plusieurs marques d’origines diverses et au sein duquel chacune se verra, bientôt, attribué la mission de s’attaquer à un marché et donc à une clientèle bien déterminée. Un nouveau groupe qui prend le nom de General Motors et auquel la marque Oldsmobile est intégrée à l’automne 1908.
A cette date, cela fait toutefois quatre ans déjà que Eli Ransom Olds a quitté la firme portant son nom, ceci, suite à une série de désaccords qui ont éclaté entre lui et ses actionnaires sur les programmes de production. En 1904, Eli Ransom Olds décide alors de donner sa démission et, très vite, de repartir à zéro en fondant, « tout simplement », une nouvelle firme automobile : la Reo Motor Car Company (le nom de Reo faisant, évidemment, référence aux initiales du nom de son fondateur), dont il assurera la présidence jusqu’en 1923. Victime, comme la plupart des autres constructeurs américains, des ravages engendrés par la crise économique de 1929, la marque Reo finira par abandonner la production des voitures de tourisme en 1936 pour se recentrer sur celle des poids lourds. La société connaissant, par la suite, divers rachats et avatars, avant de disparaître finalement en 1975. Eli Ransom Olds, de son côté, décédera en 1950, à l’âge de 86 ans.
Pour en revenir aux activités d’Oldsmobile durant la première décennie du 20e siècle, la marque présentera son premier modèle à quatre cylindres, le Type S, en 1906. Contrairement à ce qui sera le cas par après, en ces années de ce que l’on appelait alors (en Europe) la Belle Epoque, ce type de motorisation était alors réservée à des voitures de prestige de forte cylindrée). Le constructeur franchira toutefois un pas supplémentaire assez important sur le marché des automobiles destinées à l’élite de la société américaine en présentant, en 1909, la Série Z, équipée d’un six cylindres en ligne affichant une impressionnante cylindrée de près de 8,3 litres (ce type de motorisations restant alors encore fort peu courante sur le marché américain). Le constructeur de Lansing ne s’arrêtera toutefois pas là et présentera en 1917 avec la Série 45, dont l’imposant capot abrite un V8 (dont la cylindrée a toutefois été ramenée à une taille plus raisonnable de quatre litres). Après l’arrêt de la production du Type 47, à la fin de l’année 1923, la marque décide toutefois (pendant un temps) de rentrer, en quelque sorte, dans le rang, en revenant à la solution plus classique du six cylindres en ligne.
Au cours des années 1920, qui est celle d’une prospérité paraissant alors sans limites et qui voit les Etats-Unis devenir la nouvelle première puissance mondiale, le rôle d’Oldsmobile au sein du groupe General Motors ainsi que sa position sur le marché américain va progressivement évoluée pour devenir celle qu’elle occupera, quasiment, jusqu’à sa disparition, au début du siècle suivant. A savoir celle des modèles de gamme « intermédiaire ». Au sein de la hiérarchie du groupe, elle se situe au-dessus de Chevrolet (dont les modèles sont destinés aux classes populaires) et en dessous de la marque Buick (cette dernière, même si ses modèles d’entrée de gamme à six cylindres d’entrée de gamme se situent, en ce qui concerne les tarifs, au même niveau que les Oldsmobile et Pontiac de gamme à huit cylindres, incarne néanmoins une image plus prestigieuse, juste un cran en deçà des luxueuses Cadillac).
Un positionnement qui est parfois un peu flou et qui n’est donc pas toujours évident ni très « confortable » d’un point de vue commercial, en particulier pour les constructeurs faisant partie des grands groupes automobiles de Detroit. Ceci, car cela peut avoir (ce qui est d’ailleurs arrivé, assez fréquemment, par le passé) que les gammes des constructeurs se chevauchent à leurs extrémités et empiètent donc les unes sur les autres). Dans le cas du groupe General Motors et de la division Oldsmobile, le problème est que les modèles d’entrée de gamme sont affichés à des tarifs similaires aux voitures les plus chères du catalogue Chevrolet. Quant aux modèles « haut de gamme » d’Oldsmobile, ceux-ci sont vendus à peu près aux mêmes prix que les plus « populaires » de la marque Buick. Sans compter qu’au sein de la GM, la firme Pontiac occupe, elle aussi, le même segment.
La direction de General Motors ayant toutefois assez bien conscience des problèmes de concurrence interne que cela ne manquerait probablement pas de poser auprès d’une part non négligeable du public (sans compter que celui-ci, dans sa grande majorité, n’ignorait pas que les marques Oldsmobile et Pontiac appartenaient toutes deux au même groupe automobile), les campagnes publicitaires orchestrées par la GM s’emploieront à convaincre les Américains que bien que se situant dans la même gamme de prix, les modèles de ces deux marques s’adressent à des clientèles assez différentes. Pontiac ciblant, en effet, une clientèle d’âge plus « mûre » (autour de la quarantaine ou de la cinquantaine, ainsi même que les retraités), plutôt « traditionaliste » et « conformiste », ou, menant, tout au moins, une vie plutôt « paisible ».
Alors que les clients ciblés par Oldsmobile, de leur côté, appartiennent plutôt à la catégorie des trentenaires ou des « jeunes quadragénaires » considérée comme plus active et dynamique, souvent même d’un tempérament plus sportif. Cela se remarque d’ailleurs assez bien dans la présentation intérieure comme extérieure des modèles du catalogue Oldsmobile ainsi que par ses motorisations, dont la puissance est, souvent, sensiblement supérieure à celles des Pontiac.
Si cette stratégie commerciale et marketing portera assez bien ainsi qu’assez rapidement ses fruits et qu’elle contribuera en grande partie et pendant longtemps au succès d’Oldsmobile auprès de la clientèle américaine, avec l’évolution du paysage automobile ainsi que des attentes et des demandes du public, cette stratégie finira toutefois par montrer ses limites. Pour l’heure toutefois, dans l’Amérique de l’entre-deux-guerres, la firme Oldsmobile peut se vanter d’être l’un des constructeurs les plus populaires aux USA, figurant même régulièrement parmi les cinq premières marques américaines en termes de chiffres de ventes. Même s’il est vrai que tous les modèles proposés par Oldsmobile ne seront pas toujours couronnés de succès.
A l’image de la Viking, une nouvelle marque produite au sein des mêmes usines que les modèles d’Oldsmobile et vendue au sein du même réseau de concessionnaires que ces derniers. Présentée en avril 1929, la Viking ambitionnait d’élargir les parts de marché d’Oldsmobile en allant chasser sur les terres de marques comme Hudson, De Soto ainsi que les Packard d’entrée de gamme mais aussi des Buick (risquant ainsi d’accentuer ce problème de concurrence interne au sein de la GM). Malheureusement pour la marque Viking, elle fit son entrée sur le marché automobile six mois seulement avant le krach de Wall Street, ce qui explique sans doute (tout du moins, en grande partie) qu’elle subira un échec commercial assez cinglant : un peu plus de 4 000 exemplaires à peine seront ainsi produits en 1929, avant que la production chute à un peu plus de 2 800 unités l’année suivante, avant que la direction de General Motors, ne décide finalement d’arrêter les frais. Si la marque ne disparaîtra, officiellement, qu’à la fin de l’année suivante, les quelque 350 exemplaires écoulés durant l’année 1931 n’étant, en réalité, que des voitures produites durant le millésime 1930 et restées invendues jusqu’ici. Malgré certaines innovations assez intéressantes, comme un V8 avec deux bancs de cylindres inclinées 90 degrés (mais qui ne pouvaient toutefois suffire à convaincre la clientèle à passer commande, celle-ci n’étant, souvent, guère sensible, à l’époque, à l’avant-gardisme technique).
Bien que fortement ébranlée (comme beaucoup d’autres, aussi bien du côté de chez Ford et Chrysler que des constructeurs indépendants) par les effets de la Grande Dépression et se trouvant même, à un moment, menacée d’une disparition pure et simple (la situation étant, en effet, à un moment, si catastrophique aux yeux des dirigeants de la GM que ces derniers étudièrent, durant un temps, le projet de fusionner les marques Buick, Oldsmobile et Pontiac, même si celui-ci sera finalement abandonné), la firme de Lansing finira, assez rapidement, par retrouver les faveurs du public dans la seconde moitié de la décennie.
Toujours dans cette volonté de différencier, de manière très nette, les modèles Oldsmobile de ceux de la marque Pontiac, il est, progressivement, décidé de faire de la première citée une sorte de division « pilote », dont les modèles serviront, en quelque sorte, de « laboratoires roulants », aux autres divisions de la GM. Ce seront ainsi, très souvent, les Oldsmobile qui auront le privilège de recevoir les nouvelles innovations techniques mises au point par les ingénieurs du bureau d’études et de tester ainsi leur fiabilité sur le long terme ainsi que dans le cadre d’une production à grande échelle.
Il en sera ainsi de la transmission automatique (baptisée de l’appellation Hydra Matic qui fera son apparition au catalogue Oldsmobile en 1940. Une innovation qui, après la Seconde Guerre mondiale, se généralisera rapidement, non seulement, aux autres marques faisant alors partie du groupe General Motors (dont certaines développeront d’ailleurs leur propre boîte de vitesses automatiques, telle Buick avec la Dynaflow) mais aussi auprès des autres constructeurs américains. Celle-ci ayant même un impact profond sur la manière qu’auront le public ainsi que les constructeurs de concevoir l’automobile, aujourd’hui encore. La transmission automatique restant ainsi, plus de quatre-vingts après son apparition, profondément ancrée dans les habitudes de conduite automobile des Américains.
Comme la très grande majorité des constructeurs (de Detroit et d’ailleurs) Oldsmobile devra se contenter, dans un premier temps, de reprendre la production de ses modèles d’avant-guerre. (A l’image des usines d’assemblage, les bureaux d’études des constructeurs, ont, eux aussi, été mobilisés afin d’apporter leurs contributions à l’effort de guerre. Les stylistes et, surtout, les ingénieurs des différents constructeurs automobiles passèrent donc la grande majorité du conflit à concevoir des poids lourds ainsi que des chars d’assaut et d’autres véhicules militaires en tous genres. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1944, lorsque la victoire sur l’Allemagne nazie, à court ou moyen terme, devint une certitude acquise aux yeux de l’état-major de l’Armée américaine, que les constructeurs se verront autorisés à reprendre l’étude des productions à usage civile.
La demande en véhicules neufs, au lendemain de la guerre est, alors, toutefois à ce point importante que la plupart des acheteurs se contenteront (en tout cas, dans un premier temps) des modèles d’avant-guerre, à peine retouchés. Aussitôt la paix revenue, les hommes du bureau d’études de la GM (ainsi que leurs concurrents) se remettent alors au travail afin que les premiers nouveaux modèles de l’après-guerre puissent être présentés (pour Oldsmobile ainsi que les autres divisions de la GM) à l’occasion de l’année-modèle 1949.
Maxime DUBREUIL
Photos WIKIMEDIA
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=Kt23zYEcgik&ab_channel=Mike%27sClassicAutoWorld%2FRoadTrip
D’autres américaines https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/09/nash-healey-les-aventures-de-pininfarina-a-kenosha-partie-i/