PEUGEOT 204 (berlines et breaks) – Un autre « sacré numéro ».
Au sein des principaux constructeurs français présents sur le marché français avant la Seconde Guerre mondiale et qui ont réchappé de celle-ci, Peugeot est sans doute celui qui a le plus souffert des ravages de celle-ci. La reconstruction des usines de Sochaux mobilisant ainsi l’essentiel de ses efforts, la marque au lion se contente donc, au lendemain du conflit, de remettre en production son modèle d’entrée de gamme d’avant-guerre, la 202.
Sa remplaçante, la 203, entrant, toutefois, en scène, quelques années plus tard, dès 1948. Laquelle demeurera le seul modèle de tourisme proposé par Peugeot jusqu’à la présentation de la 403 en 1955 (qui marquera pour la firme au lion le début d’une longue et fructueuse collaboration avec le carrossier italien Pininfarina). Malgré l’arrivée de la nouvelle 404, en 1960, sa devancière poursuivra, cependant, sa carrière durant encore six ans, jusqu’en 1966.
Depuis la disparition, au printemps 1960, de la vénérable 203 (laquelle a pu faire valoir ses droits à la retraite après douze ans de bons et loyaux services), la gamme Peugeot reste donc articulée autour de ces deux modèles, lesquelles s’inscrivent dans la même catégorie, celle des berlines de gamme moyenne (même si la 404 se situe, sensiblement, un cran au-dessus en termes de performances, mais aussi d’équipements).
En cette décennie au sein de laquelle la période des célèbres « Trente Glorieuses » bat alors son plein, la direction de Peugeot se rendre alors compte, en parcourant le panorama du paysage automobile français en cette première moitié des années 60, que la gamme commence cruellement à manquer d’un modèle de taille plus compacte. Il est vrai que ses concurrents, de son côté, ont (depuis longtemps déjà pour certains d’entre-eux) investi le segment des modèles « économiques ». Un segment au sein duquel on retrouve l’Ami 6 chez Citroën, la R8 du côté de Renault ainsi que la 1300 pour Simca. C’est d’ailleurs cette dernière marque, en particulier, que Peugeot a en ligne de mire lorsqu’elle lance l’étude d’un nouveau modèle de taille plus compacte. Le lion de Sochaux ayant, en effet, sans doute eu du mal à digérer que la marque à l’hirondelle soit arrivée à le devancer et, ainsi, à se hisser à la troisième place des constructeurs français.
Bien décidé à ne plus se laisser ainsi distancer sur ce marché alors en pleine expansion, les hommes du bureau d’études de Sochaux mettent alors en chantier l’étude d’une nouvelle berline destinée à s’inscrire dans la catégorie des modèles de 6 CV fiscaux. Le cahier des charges mentionnant que ses dimensions extérieures ne doivent pas dépasser les 4 mètres de long et que son poids à vide doit se situer aux alentours des 800 kg, tout en pouvant accueillir jusqu’à cinq personnes adultes et atteindre sans difficulté une vitesse maximale de 130 km/h).
Pour l’architecture de cette nouvelle Peugeot populaire d’entrée de gamme, les dirigeants du Lion (probablement conscients que l’image de Peugeot, sur le plan technique, pâtie quelque peu d’une image assez, voire trop, conservatrice) ont décidé, cette fois-ci, d’innover. Les ingénieurs de Sochaux s’inspirant, entre autres, pour ce projet de la conception de l’Austin Mini. C’est donc bien le choix de la transmission aux roues avant qui est adopté (ce qui constitue une première pour la marque) ainsi que celui de placer la mécanique en position transversale (une caractéristique qui représentera une « double première », non seulement pour Peugeot mais aussi au sein de la production française en général).
En outre, le quatre cylindres en ligne que l’on retrouvera sous son capot a également été conçu expressément pour elle. Réalisé entièrement en alliage léger, il bénéficie également d’un arbre à cames en tête et se distingue également par un carter commun avec la transmission. Etant donné la vocation populaire de ce nouveau modèle, il n’est, dès lors, guère étonnant que, dans sa version originelle, sa puissance demeure assez modeste, avec 53 ch seulement.
Depuis les débuts de sa collaboration avec Pininfarina, au milieu des années 50, Peugeot a pris l’habitude de mettre en compétition, lors de la conception de chaque nouveau modèle, son propre bureau de style avec le carrossier italien (donnant souvent lieu à une véritable « partie de bras de fer » entre l’un et l’autre, plus ou moins encouragée par la direction du constructeur elle-même). Pour cette nouvelle Peugeot d’entrée de gamme (dont le projet recevra, en interne, la dénomination D 8 et ensuite D 12), ce sera, toutefois, le centre de style du constructeur (situé à La Garenne-Colombes et dirigé, à l’époque, par Paul Bouvot) qui remportera le match (même si, sur certains points, le carrossier italien y imprimera aussi sa patte).
Si le projet d’une berline cinq portes (avec un hayon donc) sera, un temps, envisagé (un type de carrosserie encore inédite au sein de la production française). Autant dire que le public dans son ensemble et la clientèle traditionnelle de Peugeot en particulier ne cachera pas son étonnement en découvrant la nouvelle 204 à la fin du mois d’avril 1965. (Sa présentation en avant-première ne se déroulant pas à l’occasion d’un Salon automobile, que ce soit à Paris ou même à l’étranger, comme c’est alors habituellement la tradition) mais lors d’une tournée promotionnelle organisée au sein des concessionnaires de la marque.
Bien qu’à son lancement, la Peugeot 204 ne soit proposée qu’avec une seule finition (Grand Luxe) et qu’elle apparaisse plutôt chère pour une voiture de sa catégorie (8 950 francs, alors qu’en comparaison, la Renault R8 Major est affichée 7 550 F et la Simca 1300 GL 8 600 F, même s’il est vrai que cette dernière s’inscrit dans la catégorie fiscale des modèles de 7 CV). Ce qui ne l’empêchera toutefois, dès son lancement, de trouver son public, entre autres grâce à sa tenue de route, nettement supérieure à celles de ses rivales. Les journalistes de la presse automobile se montrant, en effet, très élogieux concernant son comportement routier, mais nettement moins, en revanche, s’agissant de l’absence d’assistance de freinage ainsi que de celle d’une montre ou d’un totaliseur partiel sur le tableau de bord.
Si, lors de ses premiers mois de commercialisation, elle n’est donc proposée qu’en berline, de nouvelles carrosseries feront rapidement leur apparition et élargiront ainsi la gamme. La première sera le break, dès le mois de septembre 1965, lequel conserve les mêmes caractéristiques techniques que la berline dont il est dérivé et conserve la même longueur d’empattement. La 204 bénéficera également de versions coupé et cabriolet, qui feront leur apparition à l’automne 1966, ainsi qu’un dérivé utilitaire, sous la forme d’une fourgonnette tôlée, qui est incorporée au catalogue à la même époque.
La nouvelle petite Peugeot connaît un succès aussi grand qu’immédiat auprès de la clientèle, au point de devenir, en 1969, le modèle le plus vendu en France, permettant ainsi à la marque au lion de se hisser sur la seconde marche du podium des constructeurs français, une place qu’elle conservera durant encore deux ans. L’année 1971 sera marquée par une double célébration pour le constructeur de Sochaux : celle de la production de la 6 000 000e voiture produite depuis les débuts de la production automobile de Peugeot en 1889, ainsi que celle du 1 000 000e exemplaire de la 204. (Un double anniversaire célébré à seulement quelques semaines d’intervalle).
Si la carrière de la 204 atteint alors son apogée, elle amorcera ensuite, assez rapidement, un déclin, sans doute inéluctable, dû, notamment, à l’apparition de nouveaux modèles au sein de la gamme Peugeot (la 304 en octobre 1969 ainsi que la première « vraie » citadine de la marque au lion, la 104, à l’automne 1972). Lesquels éclipseront, de manière assez inévitable, la 204, laquelle, il est vrai, affiche alors déjà six ans de carrière au compteur et n’est donc plus du tout une nouveauté.
Si sa production se poursuivra jusqu’en 1976, bien qu’elle connaîtra donc une carrière longue de onze ans, elle ne connaîtra toutefois (assez curieusement) que peu d’évolutions importantes durant cette longue carrière, que ce soit sur le plan technique ou esthétique.
Sur ce dernier, les seuls changements qui permettent d’identifier (approximativement) les millésimes sont le remplacement, à partir de septembre 1966, des petits feux arrière en forme d’ogive ainsi que le pare-chocs arrière en deux parties (en centre desquelles se trouve placée la plaque d’immatriculation) par de nouveaux feux de plus grande taille ainsi qu’un pare-chocs d’une seule pièce. Ainsi que le montage, l’année suivante, d’un nouveau tableau de bord, équipé de trois cadrans circulaires un an plus tard (lequel équipait déjà le coupé ainsi que le cabriolet), qui restera, toutefois, dans un premier temps, réservé à la version haut de gamme Grand Luxe (n’étant monté sur la berline Luxe ainsi que la fourgonnette qu’à l’automne 1969).
A l’automne 1968, elle reçoit de nouveaux emblèmes sur le capot ainsi que la calandre, des pare-chocs galonnés ainsi, dans l’habitacle, qu’un volant gainé. Les dernières berlines 204 se reconnaissant, à partir de septembre 1974, par sa calandre en plastique noir. En ce qui concerne sa fiche technique, le freinage bénéficiera (d’abord en option, avant que celui-ci soit, par la suite, monté en série) d’un système d’assistance Mastervac ; le remplacement de la dynamo par un alternateur sur le système d’allumage à l’occasion de l’année-modèle 71 ; un nouveau quatre cylindres en ligne recevant la dénomination interne « XK 4 » (rien à voir avec les moteurs Jaguar, précisons-le !), à pleine plus puissant, toutefois, que celui monté sur les premiers modèles (55 ch au lieu de 53) en juillet 1969.
Ayant une vocation avant tout de voiture « citadine », la 204 ne brillera donc jamais vraiment par ses performances, la version la plus puissante qu’elle connaîtra, équipée du moteur « XK 5 » (qui ne sera toutefois produite que moins d’un an à peine, de septembre 1975 à juillet 1976, durant son ultime millésime) ne développant, en tout et pour tout, que 59 chevaux, pour une vitesse de pointe de 141 km/h. Les versions équipées de motorisations Diesel affichant des performances encore plus faibles.
Si la 204 peut (d’une certaine façon) s’enorgueillir d’avoir été, à l’automne 1967, la première voiture française à être équipé d’une motorisation de faible cylindrée fonctionnant au gazole. Bien que pouvant se targuer d’une architecture assez moderne, à l’époque, pour une motorisation de ce type (avec sa distribution à arbres à cames en tête, ainsi que le bloc-moteur et la culasse réalisées entièrement en alliage léger). Dans sa version originelle, celle-ci ne délivre, en effet, que 40 ch, pour une vitesse maximale de 125 km/h. (Même s’il est vrai que ce que la clientèle de ce genre de voitures, surtout à cette époque, recherchait n’était pas du tout la performance, mais bien une robustesse ainsi qu’une économie d’utilisation supérieure à celle des moteurs à essence).
Signe évident de la vocation avant tout « utilitaire » qui est alors attaché aux motorisations Diesel, il ne sera d’abord proposé qu’avec la carrosserie break. Même si (assez étonnamment) la fourgonnette, quant à elle, n’en sera équipée qu’à partir du printemps 73 (dans une version à la cylindrée et à la puissance légèrement augmentées, celles-ci passant ainsi de 1 255 cc à 1 357 cc et de 40 à 45 chevaux, la vitesse maximale atteignant alors les 130 km/h). Ce n’est qu’en fin de carrière, à l’automne 1974, que la berline sera, elle aussi, disponible, avec cette dernière.
Si (notamment avec les deux crises pétrolières qui secoueront les années 70), les constructeurs français (Peugeot comme les autres) figureront bientôt parmi les plus fervents partisans des moteurs Diesel, à la fin des années 60 et au début des années 70, ceux-ci restent, cependant, encore assez marginaux. Sur la 204, ils ne représenteront ainsi que moins de 10 % à peine de la production totale du modèle !
Bien qu’étant donné la catégorie dans laquelle elle s’inscrivait, elle n’avait (à l’origine) aucune vocation à s’illustrer en compétition, à l’image de la 404 avant elle, la 204 s’illustrera, toutefois, elle aussi, à plusieurs reprises sur les redoutables pistes du rallye East African Safari. A l’issue duquel, lors de sa deuxième participation, lors de l’édition 1967, les six voitures engagées termineront toutes l’épreuve, mais aussi (et surtout) remporteront les six premières places au sein de la catégorie 1 100 à 1 300 cc.
Au terme de ses onze années de carrière, la Peugeot quitte finalement la scène, après plus de 1,6 million d’exemplaires de la 204 (toutes carrosseries et motorisations confondues) produits. La citadine 104 (apparue quatre ans plus tôt) prenant alors sa place au sein de la gamme Peugeot. Ce n’est qu’en 1983, après sept ans d’interruption, que la série des « 200 » fera son retour au catalogue, avec la célèbre 205. Tout comme elle, au vu du très beau score qu’elle a réalisé sur le plan commercial, la 204 aura, elle aussi, amplement mérité le surnom de « sacré numéro » !
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
Une autre Peugeot https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/12/peugeot-605-la-malediction-des-600/
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=GUVIb5ZEgio&ab_channel=MotorsLegends