RENAULT 19 16S – Une GTI un peu trop sage ?
Lorsqu’elle est dévoilée au public, au début de l’automne 1988, la nouvelle Renault 19 succède non pas à un mais à deux modèles de la gamme du constructeur au losange : les R9 et R11. Son lancement marque aussi un changement de politique majeur au sein de celui-ci, concernant la finition ainsi que la fiabilité technique des modèles de la marque.
Jusqu’ici, Renault (ainsi, dans leur ensemble, que le reste des modèles de la production française) partageait, sur ces deux points (et surtout en ce qui concerne ce que l’on appelle la « qualité perçue ») un niveau assez « moyen » (pour dire le moins). Raymond Levy, nommé à la fin de l’année 1986 à la tête de ce qui était encore à l’époque la Régie Nationale des Usines Renault (suite à l’assassinat de son prédécesseur, Georges Besse, par le groupe terroriste Action Directe) en fit l’expérience. Lors d’une conférence de presse tenue en présence des membres de l’état-major du constructeur à l’usine de Flins, il expliqua ainsi que sa propre R25 se voyait obligée de passer quasiment tous les mois au garage pour tenter de régler ses problèmes de fiabilité.
Le nouveau patron de Renault expliquant alors que le niveau de fabrication des voitures sortant alors des usines de Flins et de Billancourt s’avérait notoirement insuffisant face aux celles des constructeurs allemands et même japonais, qui séduisent de plus en plus la clientèle française. (Bien que la diffusion de ces derniers dans l’Hexagone se voit fortement freinée par le système de quotas d’importation mis en place par le gouvernement français à la fin des années 70 et qui ne sera entièrement supprimé qu’une vingtaine d’années plus tard). L’objectif est donc clair : parvenir à faire aussi bien que leurs rivaux d’outre-Rhin sur le plan de la qualité de production.
Un vaste programme d’autant plus ambitieux que lorsque Levy arrive à la tête du Losange, la marque accuse une ardoise fort importante, que ce dernier va s’employer d’éponger par un vaste plan de restructuration (qui passera, entre autres, par le retrait du marché américain et la revente de sa filiale locale, AMC, à Chrysler). Du côté du catalogue Renault, la R19 sera donc le premier fruit de la nouvelle politique maison. Ses devancières, les R9 et R11, ayant toutes deux bénéficié de versions sportives, il était donc tout à fait logique (pour ne pas dire inévitable) qu’il en soit de même pour leur remplaçante.
Toutefois, assez curieusement, alors que celle-ci avait été annoncée par le constructeur dès la présentation de la R19, elle ne fera toutefois, finalement, son apparition au sein de la gamme qu’à la fin du mois d’avril 1990, soit presque deux ans plus tard ! Une attente qui en a sans doute dû quelque peu frustré plus d’un client potentiel (surtout parmi les propriétaires de R9 et R11 Turbo, sans doute impatients de voir si celle qui prendrait leur succession serait à la hauteur de leurs attentes). Là encore, cette attente forcée avait pour cause la volonté de Renault de livrer un produit qui soit parfait (ou, en tout cas, le meilleur possible) dès son lancement.
Alors que la firme au losange s’était faite, depuis la seconde moitié des années 70, le champion du turbo au sein des constructeurs français, à l’aube des années 90, celui-ci est, désormais, passé de mode. A présent, la nouvelle solution pour booster les performances d’un moteur a pour nom la culasse multisoupapes. Outre le fait d’un lancement qui (malgré la raison susmentionnée et qui avait été justifiée par le constructeur) semblait quelque peu tardif aux yeux de certains journalistes de la presse automobile, la nouvelle Renault 19 16S va également souffrir, dès le départ, d’un problème de concurrence interne.
En l’occurrence, celle de la Clio 16S, commercialisée un peu plus d’un an auparavant et qui, outre le fait de partager la même motorisation que la R19 portant la même appellation, présente des lignes jugées plus agressives (et donc plus flatteuses) et présentant, enfin, un meilleur rapport poids/performances. Si d’aucuns (tant au sein de la clientèle que de la presse spécialisée) avaient espéré une montée en puissance du modèle au fil du temps, ces derniers en seront, toutefois (et malheureusement), pour leurs frais, car sa mécanique n’offrira jamais plus que 140 chevaux (perdant même 3 ch lors du passage, obligé pour l’ensemble des modèles de la production française, sportifs ou non, au catalyseur). Beaucoup regretteront ainsi, ouvertement, qu’elle n’ait jamais pu bénéficier du 2 litres de 150 chevaux de la Clio Williams.
Sur le plan esthétique aussi, la nouvelle R19 16S marque un changement d’époque ainsi qu’un nouveau style (ou une nouvelle « philosophie ») pour les compactes sportives du losange. Si, auparavant, lors de l’ère des Renault Turbo, le nom de celui-ci s’affichait en grand sur la calandre, les flancs ainsi que la lunette arrière (entre autres attributs), à la fin des années 80 et le début des années 90, les temps et les mentalités (au sein du public comme chez la plupart des constructeurs) ont changé. Désormais, le temps est, en quelque sorte, au retour du « politiquement correct », ou, en tout cas, à plus de retenue dans la présentation, intérieure comme extérieure, des sportives « familiales ».
Les caractéristiques permettant de différencier la version 16S des autres R19 sont, certes, nombreuses (l’aileron arrière, le spoiler, les boucliers redessinés et peints de la couleur de la carrosserie*, les bas de caisse profilés, la sortie d’échappement ovale, les jantes et pneumatiques spécifiques, les projecteurs doubles optiques, les clignotants déplacés dans le pare-chocs ainsi que les feux arrière).
Toujours au sujet du design de la R19, celui de la 16S mais aussi, plus généralement, des versions plus « plébéiennes »*, le design n’est pas le fruit des travaux du bureau de style du constructeur (dirigée, depuis 1987, par Patrick Le Quément) mais par le studio italien Ital Design, dirigé par Giorgetto Giugiaro. Même si la compacte du losange ne restera sans doute comme sa meilleure création, il est vrai, à sa décharge, que le cahier des charges remis par Renault était fort clair (et strict). Celui-ci souhaitant pour la remplaçante des R9 et R11 des lignes modernes, mais les plus consensuelles possible, qui ne déplaisent à personne mais qui puisse, au contraire, plairent au plus grand nombre. (Ce qui était d’ailleurs le cas des trois quarts, voire même des huit ou neuf dixièmes de ses concurrentes de l’époque, japonaises comme européennes).
Toutefois, par rapport à d’autres modèles sportifs de la gamme Renault de la décennie précédente et même de la fin des années 70, si la R19 16S entend bien s’afficher comme une voiture sportive, elle tient, néanmoins, à conserver un certain côté « BCBG ». Si les possesseurs de GTI appréciaient, entre autres, celles-ci car elles leur offraient, en quelque sorte, « deux voitures en une », avec laquelle ils pouvaient non seulement faire les courses, mais aussi (et surtout) faire la course ». Outre le changement des temps et des moeurs, cette nouvelle Renault sportive entend donc « mettre à égalité les deux plateaux sur la balance », voire même à faire passer, désormais, le premier critère avant le second. La plus sportive des R19 faisant, en effet, montre d’un caractère moins radical que la plupart de ses concurrentes de l’époque (Peugeot 309 GTI, Ford Escort RS, Opel Kadett et Astra GSI, Alfa Romeo 33 QV ou autres), lesquelles avaient souvent conservé le côté « pur et dur » et donc le comportement assez radical (voire trop, aux yeux de certains) de leurs devancières de la décennie précédente.
Ce qui explique sans doute le jugement souvent assez sévère qui avait été fait par un certain nombre de journalistes de la presse auto à l’époque, lesquels ne se privèrent pas de pointer du doigt son manque de reprises ainsi que de tempérament sportif (notamment à bas régime) ainsi qu’un châssis sous-exploité. A vouloir contenter tout le monde, on ne réussit parfois qu’à mécontenter tout le monde ! C’est sans doute par ce proverbe ce que ces mêmes essayeurs auraient pu résumer ce qu’étaient, sur bien des points, leurs sentiments à l’égard de la Renault 19 16S. Celle-ci ayant voulu rallier à elle, non seulement, une grande partie des nostalgiques de l’époque des GTI « pures et dures » et aussi, dans le même temps, séduire les pères et mères de famille par son habitabilité, son côté pratique ainsi que sa finition nettement meilleure que celle de sa devancière.
Cependant, aux yeux de certains, cette volonté d’offrir « meilleur compromis possible » n’a fait, d’une certaine façon, que laisser une part non négligeable des premiers quelque peu sur leur faim. Les seconds, par volonté de discrétion (bien que, comme mentionné plus haut, sur le plan du style, la 16S ne fasse pas vraiment dans le « tape à l’oeil ») et, probablement aussi, faute d’un budget suffisant, préférant souvent se contenter d’une version plus « ordinaire » et donc plus « sage ».
Bien qu’elle ne figurait pas véritablement parmi les modèles les plus chers de sa catégorie, étant affichée, à son lancement, à 107 500 F, alors que l’une de ses principales rivales, la Golf GTI, proposée, elle aussi, en version 16 soupapes, était vendue 118 100 F (même s’il est vrai qu’elle pouvait se prévaloir d’un niveau d’équipement plus élevé). Même s’il faut également mentionné qu’à l’automne 1988, la nouvelle R19, avec la carrosserie 5 portes et en version TR, se laissait emporter contre un chèque de… 64 000 F seulement !
Les chiffres de production concernant la version 16S varient selon les sources, certains mentionnant un total de 87 ou 88 000 exemplaires (Phases I et II et toutes carrosseries confondues), même si ceux-ci paraissent, aux dires de certains spécialistes, quelque peu excessifs. D’autant que Renault n’a (étrangement) jamais souhaité communiquer les chiffres en question. Les seules données qui semblent, à la fois, précises et fiables concernant les chiffres de production de la Phase I, la plus vendue étant la berline 3 portes, avec 17 730 exemplaires, contre 2 689 unités seulement pour la version 5 portes et 6 083 pour la berline 4 portes Chamade. (S’agissant du cabriolet, d’après certains amateurs, il semble qu’il y ait environ 29 000 exemplaires, « Phases I et II » confondues. En ce qui concerne la « Phase I », ils ne doivent, probablement, pas être fort élevés, étant donné sa durée de présence fort éphémère au catalogue). Même si, en tout état de cause, il semble clair que la 16S n’a, très certainement, représenté qu’une minorité des plus de 3 242 000 exemplaires produits.
Si, lors de son lancement, elle n’est d’abord proposée qu’en berline trois portes, la gamme sera progressivement élargie au fil des années, la 16S étant finalement proposée avec l’ensemble des carrosseries proposées sur les autres versions de la R19. Les berlines cinq portes et quatre portes Chamade à partir septembre 1990 et le cabriolet lors de la présentation des modèles du millésime 92 (commercialisées en juillet 1991), ce dernier ne sera vendu, dès sa commercialisation, qu’avec la version catalysée du moteur 16 soupapes. Il ne connaîtra toutefois, dans la version originelle de la Clio, qu’une carrière fort courte (moins d’un an à peine), l’ensemble des modèles de la gamme R19 (toutes carrosseries et motorisations confondues) se voyant offrir, en avril 1992, un lifting esthétique.
Ces R19 « phase 2 » se distinguant de leurs devancières par leur face avant redessinée ; un capot doté d’une prise d’air (destinée non pas au refroidissement du moteur, mais à celui du catalyseur), de nouveaux feux arrière « fumés », reliés entre par un bandeau de même apparence* sur le panneau de coffre ; plaque d’immatriculation déplacée sur le pare-chocs à l’arrière ainsi que de nouvelles jantes en aluminium montées en série. L’habitacle étant, lui aussi, retouché, recevant un dessin aux angles plus arrondis afin de le mettre, ainsi, au goût du jour. En ce qui concerne la boîte de vitesses, celle-ci se voit équipée d’une quatrième ainsi que d’une cinquième vitesse raccourcie. Si la 16S reste proposée avec les mêmes carrosseries, il est à noter que la berline à coffre « classique » abandonne toutefois l’appellation Chamade pour celle, plus ordinaire, de « 4 portes ».
Les changements suivants interviendront à l’occasion de l’année-modèle 94, lesquels concerneront avant tout les équipements de sécurité, souvent rendus obligatoires, tant par les attentes de la clientèle pour qui la sécurité au volant est devenue un critère primordial que par les nouvelles normes européennes. Le conducteur ainsi que les passagers bénéficiant ainsi de nouveaux renforts à l’intérieur des portières ainsi que de prétentionneurs sur les ceintures de sécurité à l’avant. L’airbag (uniquement pour le conducteur, toutefois) ainsi le système antivol électronique (même si ceux-ci restent encore de simples options. (Ils seront toutefois intégrés aux équipements de série lors du millésime 95).
En avril 94, le cabriolet sera également proposé sous la forme d’une série limitée baptisée Camargue. Celle-ci se distinguant des autres versions de la R19 par son habitacle à la présentation et à l’équipement plus cossus : sellerie en cuir, air conditionné, rétroviseurs électriques dégivrants ainsi qu’une série de teintes de carrosseries spécifiques et les logos « Camargue » sur les portières avant. Sur le plan mécanique, le moteur se voit équipé d’un carter d’huile de plus grande capacité, similaire à celui monté sur la Clio Williams.
En ce milieu des années 1990, la Renault R19 se trouve, cependant, au crépuscule de sa carrière, sa remplaçante, la future Mégane, étant alors au dernier stade de sa gestation. En conséquence, la gamme de sa devancière va progressivement se réduire au fil du temps. En ce qui concerne la version 16S, la berline tricorps sera la première à quitter la scène en 1995. La berline trois portes ainsi que le cabriolet restant encore au catalogue durant un ultime millésime, avant de disparaître à leur tour en novembre 1996. (Si la carrière de la R19 s’arrête alors en Europe comme en France, elle se poursuivra toutefois jusqu’en 2001 en Turquie ainsi qu’en Amérique du Sud). Une nouvelle ère s’ouvrant alors pour Renault sur le plan marketing, puisque la R19 sera le dernier modèle de la marque au losange à être désignée par un numéro.
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
Une autre Renault sportive https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/09/clio-v6/