VOLVO P1800 –La Sirène Suédoise
Depuis sa création, en dehors des autres pays scandinaves (Norvège, Danemark et Finlande), la marque suédoise ne s’était, jusqu’ici, jamais vraiment jugée utile ou nécessaire de prospecter sur les marchés étrangers. Bien que la Suède ait figuré parmi les rares pays européens à avoir réussi à rester neutres durant le conflit et à ne pas avoir eu à subir l’occupation de son territoire par les troupes de l’Axe (nommant ainsi l’alliance politique et militaire entre l’Allemagne d’Adolf Hitler et l’Italie de Mussolini), l’entreprise a néanmoins bénéficié d’importantes commandes militaires qui lui ont permis d’engranger de solides bénéfices et, grâce à ceux-ci, d’amorcer un vaste programme de développement industriel. Au début des années 1950, Volvo commence ainsi à se sentir à l’étroit sur son marché intérieur et à nourrir de grandes ambitions. A savoir celles de parvenir, à terme, à figurer parmi les principaux constructeurs automobiles européens. Mais le constructeur suédois n’a pas que le marché du Vieux Continent dans ses objectifs, le marché américain, qui, au lendemain de la guerre, offre de vastes et riches perspectives commerciales, pour les marques américaines comme pour beaucoup de constructeurs étrangers, est aussi dans sa ligne de mire.
Dans le but de parvenir à conquérir une part de ce fabuleux gâteau, Assar Gabrielsson, qui préside alors aux destinées de la marque, charge alors le bureau d’ études de Volvo de se pencher sur l’étude d’un cabriolet spécialement destiné, en priorité, à séduire la clientèle américaine. Parmi les marques européennes présentent au pays de l’Oncle Sam, ce sont en effet les modèles de sport ou de grand tourisme (bien que, dans certains cas, ces appellations soient un peu galvaudées) qui ont le plus la cote, les Américains les achetant pour s’en servir comme « véhicules de loisir », pour les balades en week-end ou, pour les puissantes, les courses en amateurs. Des coupés et décapotables vifs et légers qui les changent radicalement des productions des constructeurs de Detroit, lesquels ne proposent alors quasi tous (en dehors de quelques exceptions notables) que d’imposantes berlines, coupés ou cabriolets dépassant tous allégrement les cinq mètres de long et à côté desquels les petits roadsters anglais comme la MG TF ferait carrément figure d’autos miniatures.
Si Gabrielsson entend bien concurrencer les roadsters anglais et italiens sur la terre qui représente alors leur principal marché d’exportation, ses sources d’inspiration premières pour celle qui est destinée à devenir la première sportive de la marque viendra de deux des premières voitures de sport d’après-guerre créées par les constructeurs américains : la Chevrolet Corvette et la Nash-Healey. L’une des principales caractéristiques de la première est sa carrosserie réalisée en matière plastique (elle est d’ailleurs la première voiture américaine de série à en être équipée), qui constitue une véritable innovation à l’époque. Très impressionné par celle-ci, le patron de Volvo insiste alors pour que la future décapotable de la marque soit elle aussi équipée d’une carrosserie de ce type. Dans cette intention, afin de mener ce projet à bien, le constructeur prend alors contact avec les responsables de la société américaine Glasspar, basée en Californie, qui a, d’ailleurs, déjà été sollicité par Chevrolet pour la mise au point de la carrosserie de la Corvette. L’année suivante, au printemps 1954, les prototypes de la future Volvo effectuent leurs premiers tours de roues. Baptisée P1900, les lignes du cabriolet suédois s’inspire clairement de celles de la première génération de la Nash-Healey (baptisée ainsi car étant le fruit d’un partenariat entre le constructeur britannique Donald Healey, futur créateur des Austin-Healey, et le constructeur américain Nash). Si, vu de profil, celle-ci présente un dessin élégant mais finalement assez classique, hormis peut-être la ligne « ponton intégrale », qui n’est pas encore été adoptée par tous les constructeurs européens, la face avant, en revanche, présente une calandre au dessin plutôt curieux, dont la forme hexagonale, si elle s’inspirait sans doute de la turbine de certains avions de chasse de l’époque, n’est, toutefois, pas non plus sans évoquer, sous certains angles, le groin d’un cochon ! En tout état de cause, elle ne se marie guère avec le reste de la carrosserie de la P1900. A tel point que l’on serait tenté de croire que l’une et l’autre ont été dessiné par deux designers différents qui travaillaient en « vases clos » et dont aucun n’avait connaissance du travail de l’ utre. Après quoi, on aurait assemblé les deux dessins sans guère se soucier de la cohérence esthétique de l’ensemble. Sur le plan mécanique, dans un soucis logique de rationalité et d’économie la plus grande partie des éléments sont empruntés à la berline PV444. Ceux-ci prennent toutefois place dans un châssis spécifique spécialement conçu pour la P1900. Bien que le bloc B14 A, un quatre cylindres de 1 420 cc, voit ici sa puissance poussée à 70 chevaux (contre seulement 44 sur la PV444), le nouveau cabriolet voit ses performances sérieusement freinées par une boîte de vitesses ne comptant seulement que trois rapports et les chiffres ne sont donc guère à la hauteur des espérances de ses concepteurs, la vitesse maximale atteignant tout juste, et non sans difficultés, les 140 km/h, alors qu’à cette époque, toute sportive digne de ce nom se doit de pouvoir atteindre la barre des 160 km/h. Les piètres performances de la nouvelle décapotable, qui devait permettre au constructeur suédois d’étendre sa conquête du marché américain, ne sont pourtant pas les seuls soucis auxquels il doit faire face. La technique de la fibre de verre est alors encore balbutiante et les ingénieurs de Volvo semblent éprouver plus de mal que leurs confrères de chez Chevrolet à la maîtriser. En plus des difficultés inhérentes à sa production en série, la carrosserie se montre également délicate à réparer en cas d’accident et présente aussi des problèmes assez graves et récurrents en ce qui concerne sa rigidité, les portières présentant, notamment, une fâcheuse (et dangereuse) tendance à s’ouvrir lorsque la voiture roule dans les virages. En 1956, Assar Gabrielsson prend sa retraite et, l’année suivante, au printemps 1957, devant le montant des dépenses qui s’accumule et ce projet représentant à ses yeux une voie sans issue, le nouveau patron de Volvo, Gunnar Engellau, décide d’arrêter les frais. Au total, seuls 67 exemplaires de présérie du cabriolet P1900 auront été construits, sans que le modèle soit jamais commercialisé. Telle qu’elle se présentait lorsque la direction de Volvo décida de l’enterrer, il était clair que la P1900 n’était pas du tout prête à être commercialisée. Outre le fait que sa carrosserie s’avère fragile et trop chère à fabriquer (exposée au Salon d’Earls Court, à Londres, en 1956, la P 1900 y est affichée au prix de 2 100 £, soit plus qu’une Jaguar XK 140, laquelle se montre bien plus puissante), Engellau lancer sur le marché un modèle affligé de tels défauts n’aurait sans doute pas manqué de nuire gravement à l’image de robustesse, de longévité et de qualité de construction qu’elle était parvenue à acquérir grâce à ses modèles.
Bien que la marque soit encore peu connue au-delà des pays scandinaves, elle commence toutefois déjà à se faire un nom à l’étranger grâce à la solidité de ses voitures. Notamment la PV 444. En dépit de ses lignes démodées, surtout aux Etats-Unis, qui ont manifestement été inspiré par les modèles américaines du début ou de la fin des années 1940, comme les Ford ou les Plymouth, celle-ci sera plébiscité par le public américain, qui la découvre en 1956, grâce à sa robustesse digne de celle d’un poids lourd, qui lui permettait d’endurer sans peine les traitements les plus rudes. La présentation de la berline Amazon, présenté à l’automne de la même année, et qui peut se prévaloir d’une ligne bien plus moderne, permettant à Volvo de pérenniser son succès sur le marché d’outre-Atlantique. Outre le dessin de sa carrosserie, ce nouveau modèle bénéficie également d’une nouvelle mécanique, le moteur B 16, un quatre cylindres de 1 583 cc qui, dans sa version S, la plus puissante, atteint les 85 ch, ainsi que d’une boîte de vitesses dotée, elle, de quatre rapports. Ce qui lui permet d’atteindre sans peine les 150 km/h, quand la berline de base, plafonne à 135. C’est précisément le moteur de l’ Amazon 122 S qui est choisie par Engellau et ses ingénieurs pour motoriser le futur modèle sportif dont ils ont lancé l’étude. Car, malgré l’expérience cuisante qu’a représenté l’échec du projet P1900, surtout sur le plan budgétaire, la direction et le bureau d’études de Volvo n’en ont pas pour autant abandonné l’idée d’un modèle de grand tourisme. Lequel permettra non seulement de compléter l’offre au sein de la gamme Volvo et aussi apporter à la marque une image « jeune » et « dynamique » qui lui manque encore en grande partie et qui, à l’époque, est fort importante pour beaucoup de constructeurs européens présents aux Etats-Unis. Le projet, qui reçoit le nom de code P 598, débute quasiment au même moment où celui de la P1900 est abandonné. Comme beaucoup de constructeurs européens (et aussi Américains), Gunnar Engellau admire beaucoup l’école de style italienne, qui, depuis le début des années 50, est devenue la nouvelle Mecque dans le domaine du design automobile, en particulier en ce qui concerne les voitures de sport ou de grand tourisme. Beaucoup de carrossiers italiens ont déjà acquis une renommée internationale, aussi bien sur le Nouveau que sur le Vieux Continent, et le patron de Volvo est convaincu que le nom et l’emblème de l’un d’entre-eux, apposé sur la carrosserie de la future Volvo de grand tourisme, ne manquera pas de lui attirer les faveurs de la clientèle, très sensible, comme souvent sur ce genre de voitures, à la noblesse du « pedigree ». C’est l’un des cadres de la marque, Helmer Petterson, qui a participé à la conception de la PV 444 ainsi qu’à celle de la P 1900, qui est chargé par Engellau d’endosser le rôle d’intermédiaire et de partir en Italie afin de soumettre la demande et le dossier du constructeur suédois auprès des plus prestigieux carrossier de la péninsule. Le premier à être sollicité par Petterson est Ghia. Lequel joui alors aussi bien des faveurs des plus importants constructeurs des deux côtés de l’Atlantique, ayant, notamment, conçu pour Volkswagen les coupés et cabriolets Karmann-Ghia basés sur la Coccinelle ainsi que les concepts-cars du groupe Chrysler. Toutefois, le célèbre artisan est alors un peu victime de son succès et, faute de temps, il se voit contraint de décliner l’offre. Luigi Segre, le patron de Ghia, recommande néanmoins à Petterson de s’adresser pour son projet à un autre de ses confrères les plus renommés, Pietro Frua. Coïncidence (mais qui va se révéler capitale pour la suite), Pelle Petterson, le propre fils d’Helmer, travaille alors comme styliste stagiaire pour Frua. Comme tous les autres membres du bureau d’études du carrossier, il se voit attribuer la tâche de se pencher sur le dossier soumis par Volvo et d’en livrer sur le papier sa propre interprétation pour un modèle de grand tourisme. Une fois leur travail achevé, les études de style réalisé par les stylistes de Frua sont expédiés au siège de Volvo en Suède. Celles-ci sont alors soumises à Gunnar Engellau, sans qu’il soit fait mention des noms de leurs auteurs. C’est donc en toute « innocence » et sans se douter un seul instant que ce n’est autre que le propre fils de son intermédiaire qui en tracé les lignes qu’il choisi celle de Pelle Petterson. On ignore si la personne qui a remis les esquisses à Engellau connaissait, elle, l’identité des auteurs des différentes études de style soumises à son examen, mais, si tel est le cas, il ne semble pas avoir jugé utile (ou s’être bien gardé) de dire au président de Volvo le nom de l’auteur du dessin sur lequel il a porté son choix. Ce n’est que plus tard, alors que la conception de la future P 1800, le nom de série que portera la future Volvo (P pour Personvagn en suédois ou Personal car en anglais, ce terme faisant référence à certains modèles de grand tourisme produits par les constructeurs américains, comme la Ford Thunderbird ou, plus tard, la Buick Riviera), qu’il sera mis au courant et Engellau, qui souhaitait ardemment conféré une identité bien italienne aux lignes de sa future grand tourisme, sera alors fort désappointé (pour ne pas dire furieux) en apprenant que celle-ci est en réalité l’oeuvre d’un Suédois.
A la fin de l’année 1957, trois prototypes sont assemblés dans les ateliers de Frua. Les lignes du nouveau modèle tranchent radicalement avec le classicisme affiché de l’Amazon et, plus encore, avec l’austérité, elle aussi assumée, de la PV 444 et font véritablement souffler un vent nouveau au sein du constructeur suédois. La nouvelle P 1800 ne ressemble en effet à aucun autre modèle de la gamme Volvo. Basse et fuselée, à la fois élégante et agressive mais sans ostentation, sa ligne n’a rien à envier à celle des meilleures GT italiennes de l’ époque, auprès desquelles Pelle Petterson semble, manifestement, avoir puisé son inspiration. Le trait de génie et la force de ce dernier, qui fait toute la réussite de son dessin est qu’il a très bien su assimiler les principales caractéristiques de l’école de style italienne, ainsi que d’autres traits de style d’inspiration étrangère, tout en réussissant à livrer un résultat qui ne soit pas un simple « patchwork » d’éléments esthétiques d’origine diverses, qui aurait risquer de former un ensemble trop éclectique et guère harmonieux. Au contraire, même si, volontairement ou inconsciemment, on cherchait les modèles, italiens ou autres, qui aurait pu inspirer Pelle Petterson pour le dessin de la P 1800, que ce soit pour l’un ou l’autre attribut esthétique de la voiture ou par la ligne d’ ensemble, on ne pourrait guère affirmer que son auteur s’est clairement inspiré de tel ou tel modèle et encore moins qu’il a plagié le travail d’un autre. De plus, par rapport à l’éphémère et confidentielle P 1900, les lignes tracées par Petterson apparaissent bien plus racées que celle de cette dernière, avec son capot et ses ailes avant qui, surtout vu de profil, paraissent presque hypertrophiées, surtout par rapport à la taille de l’habitacle. Si cela renforce encore l’air « sportif » qui se dégage de la voiture, revers de la médaille, cela laisse néanmoins présager d’une habitabilité assez mesurée. Outre son pare-choc avant en deux parties, de part et d’autre de l’emplacement de la plaque d’immatriculation, un autre des éléments d’accastillage chromés remarqué sur le coupé Volvo est la large baguette chromée qui épouse la forme de la moulure incurvée courant depuis l’ xtrémité de la portière, derrière la poignée, jusqu’au bout de l’aile avant. Une moulure qui, à l’arrière, se poursuit avec celle soulignant la crête de l’aileron. Un trait de style qui, au sein des journalistes de la presse automobile, ne fera toutefois pas vraiment l’unanimité et sera même assez controversé. A l’intérieur de l’habitacle, on découvre un très beau tableau de bord noir dont les formes, tout comme les panneaux en métal poli, qui contrastent avec les cadrans Smith de couleur bleu ciel, devant lesquels se trouve placé un très élégant volant à branches ajourées. Le tout affichant clairement la vocation sportive de la voiture. Si les sièges, présentant eux aussi un dessin typé « sport », dispensent un réel confort, étant donné la faible taille de l’habitacle, la banquette qui se trouve placée à l’arrière n’offre guère que des places symboliques qui peuvent tout juste convenir à des enfants en bas âge, même si elle permet de justifier dans les brochures de la marque l’appellation « 2+2 ». Si la grande majorité des commentaires publiées dans les revues spécialisées laissent présager que, comme l’espère d’ailleurs vivement la direction de Volvo, le coupé P 1800 est promu à une belle carrière. Si, à la même époque, la production du constructeur suédois augmente de manière significative chaque année, la marque se voit, d’une certaine façon, victime de son succès : Les chaînes de l’usine historique de Göteborg sont alors entièrement accaparées par la production de l’Amazon et de la PV 544 et il n’y a alors plus aucun place, aussi réduite qu’elle soit, qui puisse être réservée à la production de la nouvelle grand tourisme de la marque. Pour faire face à la demande, le constructeur a, certes, lancé la construction d’ ne nouvelle usine d’assemblage, à Torslanda, mais celle-ci ne sera pas opérationnelle avant 1964. Si Volvo tient à pouvoir lancer au plus tôt la production de la P 1800, la direction réalise bientôt qu’il ne lui reste plus guère qu’une seule vraie solution : Trouver, rapidement, en Suède ou à l’étranger, un sous-traitant qui puisse en assurer l’assemblage de manière transitoire, le temps que l’usine de Torslanda soit achevée ou que de la place puisse se libérer dans celle de Gôteborg. Là aussi, c’est à Helmer Petterson que revient la mission de trouver le sous-traitant qu’il estimera le mieux à même à remplir cette tâche. Le premier des candidats potentiels envisagé et approché par Petterson en 1958, Karmann, est alors sous contrat avec Volkswagen et se voit contraint de décliner l’offre. C’est finalement auprès des firmes britanniques Jensen et Pressed Steel Limited qu’un accord est conclu, en décembre 1958, pour l’assemblage du coupé Volvo. Le contrat prévoyant que l’entreprise Pressed Steel, installée en Ecosse, assurera l’emboutissage des caisses qui seront ensuite expédiées chez Jensen, près de Birmingham. Celle-ci assurant le montage des caisses sur les châssis ainsi que l’assemblage des pièces d’accastillage de la carrosserie et des éléments intérieurs de l’habitacle. Les éléments mécaniques (moteur, transmission,…) étant, quant à eux, expédiés en Grande-Bretagne depuis la Suède. Une grande partie des éléments « périphériques » étant toutefois fournis par les équipementiers britanniques : Girling pour les freins, Lucas pour les composants électriques, les instruments de bord par Smiths et l’overdrive par Laycock de Normanville.
Si le public découvre le nouveau coupé P 1800 dès le mois de mai 1959 par les photos officielles fournies par Volvo, en revanche, il leur faudra encore patienter durant plus de sept mois, jusqu’à l’ouverture du Salon automobile de Bruxelles, en janvier de l’année suivante, pour avoir enfin l’occasion de l’admirer en vrai sur le stand de la marque au sein des palais du Heysel. La patience du public, et donc des acheteurs potentiels, va toutefois encore être mise à l’ épreuve, car les premiers exemplaires (de pré-série) n’effectueront leurs premiers tours de roues qu’à l’automne. Ceux-ci se distinguent des prototypes réalisés par Frua par leurs deux sorties d’échappement qui abandonnent les deux sorties intégrées dans la jupe (un gimmick inspirée des voitures américaines des années 50) pour être placées, de manière beaucoup plus classique, sous la carrosserie et le pare-choc à l’arrière est désormais d’un seul tenant et reçoit la plaque d’immatriculation (laquelle était auparavant fixée sur le panneau de coffre), tandis que l’emblème en V au centre de la calandre disparaît du modèle de série, tout comme les écussons ornant le pavillon. Si, avec la surpression de ses éléments, la P 1800 de série présente une ligne (un peu) plus sobre, elle présente encore un certain nombre de pièces d’accastillage chromées qui, à la fin de sa carrière, seront passés de mode et qu’elle finira, pour cette raison, par abandonner. Sous son capot, elle reçoit le nouveau moteur B 18 B, qu’elle est d’ailleurs le premier modèle de la marque étrenner. Celui-ci développe 100 chevaux (SAE). Avec l’overdrive (disponible en option), elle peut atteindre sans difficultés la barre des 165 km/h, en dépit d’un poids à vide qui atteint tout de même 1 120 kg. Les freins à disque qu’elle reçoit à l’avant lui garantissant également un freinage efficace. Finalement, au printemps 1961, soit tout de même près de deux ans après avoir été dévoilée au public (!), les clients peuvent enfin la découvrir en détails auprès des concessionnaires de la marque et en passer commande.
Les débuts de la carrière de la Volvo P 1800 ne se feront pourtant pas sans connaître quelques ratés. En cause, le circuit de fabrication mis en place par Volvo avec ses partenaires anglais, qui ne tarde pas à poser pas mal de problèmes d’organisation. Bien que, comme la plupart des constructeurs artisanaux en Grande-Bretagne, Jensen soit pourtant réputé pour la qualité de ses réalisations, il semble que, dans le cas de la P 1800, l’entreprise ait fait preuve d’un certain laxisme en ce qui concerne l’assemblage des caisses comme le contrôle qualité en fin de montage. Tant et si bien que le constructeur ne tarde pas à dépêcher sur place plusieurs inspecteurs afin de veiller à améliorer de manière significative la qualité du travail réalisés par les Anglais. Les responsables de Volvo ne tardent pas, en effet, à se plaindre, entre autres, de problèmes d’étanchéité et de la peinture cellulosique recouvrant les carrosseries qui a tendance à se ternir très vite. Si ce genre de défauts dont souffrent les premiers exemplaires du coupé Volvo est, à l’époque, assez courant sur beaucoup de réalisations artisanales ou semi-artisanales, ils apparaissent rédhibitoires (pour ne pas dire inadmissible) pour un constructeur comme Volvo, qui a bâti toute son image de marque sur la qualité de construction de ses voitures. Beaucoup de voitures se voient donc obligées de repasser en atelier avant d’être livrées aux clients. Les rapports entre les différents partenaires, en particulier entre Jensen et Volvo ne vont pas tarder à se dégrader. Tant et si bien qu’en mars 1963, la direction de Volvo décident, purement et simplement, de faire rapatrier la production en Suède. Volvo disposant à présent de suffisamment de place au sein de ses usines pour assurer elle-même l’assemblage des voitures. En dépit de tous les problèmes rencontrés durant cette période, environ 6 000 exemplaires de la P 1800 seront, malgré tout, sortis en près de deux ans des ateliers de Jensen. Si le contrat avec ce dernier est alors rompu, la Pressed Steel Ltd, elle, poursuivra néanmoins la construction des caisses pour la P 1800 jusqu’en 1968. Maintenant que sa production est directement supervisée par Volvo, les exemplaires de la P 1800 « nouvelle série » reçoivent une peinture synthétique plus résistante et d’une finition intérieur nettement améliorée, intégrant, notamment, des sièges équipés d’assises en cuir et des dossiers arrière rabattables. Rebaptisée P 1800 S, cette nouvelle version se distingue par ses enjoliveurs de roues qui sont désormais les mêmes que ceux de l’Amazon, qui reçoivent toutefois, sur le coupé, un « V » central sur fond rouge. Le client peut toutefois aussi disposer, en option, de jantes à rayon Robergel, vendues comme accessoires chez les concessionnaires. Les écussons « Volvo » stylisés qui était auparavant placés sur les panneaux de custode disparaissent également.
La télévision contribuera aussi, pour une grande part, au succès de la Volvo P 1800, à travers la célèbre série télévisée Le Saint, où elle deviendra la fidèle monture du personnage de Simon Templar, incarné par le charismatique Roger Moore (qui n’avait pas encore, à ce moment-là, succédé à Sean Connery de le rôle de James Bond). Au départ, lors de la conception de la série, ce n’était toutefois pas la Volvo qui avait été envisagée mais un autre coupé de grand tourisme qui avait été dévoilé au public au même moment où débutait la commercialisation de la P 1800 (ce qui avait eu pour effet d’éclipser quelque peu le lancement du coupé suédois), la Jaguar Type E. Le problème, pour le constructeur de Coventry comme pour l’acteur, est qu’à l’époque, la nouvelle Jaguar est, en quelque sorte, victime de son succès et que la marque se voit submergée de commandes pour la Type E. Le constructeur se voit donc dans l’impossibilité d’en réserver un contingent, même de seulement trois ou quatre exemplaires, pour la production de la série, qui devrait alors attendre plusieurs mois avoir de pouvoir prendre livraison des voitures ! Découvrant, par hasard, la P 1800 à la lecture d’ un magazine, l’acteur, séduit par les lignes du coupé suédois, est alors convaincu que la Volvo conviendrait à merveille pour servir de monture au personnage de Simon Templar. Les producteurs de la série se laissent très vite convaincre et contacte alors le concessionnaire local, lequel, ravi de cette aubaine inespérée et pressentant le succès que pourrait remporter cette nouvelle série, s’empresse alors d’en vendre un exemplaire à la production. Comme ce dernier l’avait pressenti, la série Le Saint remportera immédiatement un très grand succès, propulsant, en même temps que Roger Moore, la Volvo P 1800 au rang de star. Désormais, pour tous les fans de la série comme les amateurs d’automobiles en général, l’image du coupé suédois sera désormais indissolublement associée à celle de la série et offrira à la marque une publicité aussi grande qu’inattendue. Le constructeur suédois devenant ainsi l’un des premiers à inaugurer la formule du placement de produits au cinéma et à la télévision pour assurer la promotion de ses modèles. Au cours des sept années que durera le tournage de la série, entre 1962 et 1969, Volvo livrera plusieurs exemplaires de la P 1800 pour les besoins de la production. Certaines étant d’ailleurs mises à rude épreuve lors des scènes de poursuites, l’une des voitures étant même détruite lors d’une cascade. Roger Moore, grand amateur du modèle en achètera d’ailleurs plusieurs pour son usage personnel.
A l’automne 1963, le moteur de la P 1800 S voit sa puissance porté à 108 chevaux. Un supplément de puissance qui permet, dans des conditions optimales, de porter la vitesse de pointe à 175 km/h. Outre le coupé P 1800 ainsi que d’autres modèles de la gamme Volvo, cette mécanique, qui, comme les autres moteurs du constructeur suédois, fera honneur à la réputation de robustesse et de fiabilité attachée à la marque, se retrouvera également sous le capot de la Facel III, l’un des derniers modèles de la marque Facel-Vega, l’un des derniers représentants des constructeurs de prestige en France. Celui-ci venant remplacer le quatre cylindres double arbre à cames Pont-à-Mousson créé pour la Facellia, qui s’était rapidement montré trop fragile et délicat à régler. Bien que faisant preuve d’un caractère moins « démonstratif » que son prédécesseur, le moteur suédois se montrera néanmoins plus agréable et d’une utilisation bien plus facile. La boîte de vitesses accolée au moteur est également d’origine Volvo et se montre d’une grande douceur d’ utilisation, l’overdrive, de son côté, permet de gommer les vibrations et de faire baisser le niveau sonore de la mécanique, qui étaient deux des défauts majeurs de la Facellia. Si la Facel III se vendra nettement mieux que sa devancière (seuls 625 exemplaires en seront toutefois construits), elle ne parviendra cependant pas à sauver le constructeur français, qui fermera ses portes en 1964. Sur le marché français, la Facel III ne fera, de toute façon, jamais de l’ombre à la P 1800. D’autant que celle-ci n’y connaîtra qu’une diffusion assez restreinte, due en partie à un prix d’un vente assez élevé, surtout avec les droits de douane frappant les modèles des constructeurs suédois (la Suède n’a alors pas encore ratifié le traité de Rome et n’intégrera d’ ailleurs l’Union Européenne qu’en 1995 !), Volvo comme Saab. Vendue en France par le réseau Bollinger, une filiale de Volvo qui diffuse des machines agricoles (!), elle est affichée, en 1963, au prix de 26 975 francs (soit plus que la Facel III, qui, elle, ne vaut « que » 23 850 F). De plus, là-bas comme dans la plupart des autres pays européens, malgré sa ligne séduisante, elle attire une clientèle assez exigeante qui s’intéresse plus à la fiabilité qu’à l’esthétique.
La presse automobile française ne s’intéressera d’ailleurs guère à la belle suédoise. L’un des rares articles de l’époque qui y sera consacré, dans L’Action Automobile de septembre 1963. Celui-ci décrira la P 1800 en ces termes : « Analysée dans les conditions normales de circulation sur toute, le coupé 1800 S est sans problème. Le conducteur ne peut se départir d’une sensation de lourdeur, mais rien dans le comportement de la voiture ne vient compliquer sa tâche. On maintient allègrement une vitesse de croisière de 150 km/h (…) La qualité essentielle est la remarquable souplesse du moteur. D’ailleurs, comme souvent en pareil cas, c’est moins la vitesse de pointe que la netteté des accélérations qui est intéressante. A cela doit s’ ajouter – et c’est le cas – la possibilité d’utiliser les performances dont la voiture est capable en accordant une confiance totale dans les qualités routières (…) ».
Au pays des présidents Kennedy et Johnson, même si elle y est, là aussi, vendue à un prix assez élevé, 3 995 $ (1 500 $ de plus qu’ une berline 122 S), soit le prix d’une Chrysler New Yorker, ses chiffres de diffusion seront évidemment tout autre, à la fois parce que la clientèle locale y est beaucoup plus sensible à sa ligne et aussi parce que la marque y bénéficait d’une notoriété bien plus grande qu’au pays du Général De Gaulle.
Si les nombreux éléments chromés ornant la carrosserie était très en vogue lors du lancement du coupé Volvo, à la fin des années 50, au milieu des années soixante, ceux-ci commencent toutefois à être passés de mode. C’est la raison pour laquelle, à compter de l’année-modèle 1965, le coupé Volvo, qui reçoit désormais, plus simplement, l’appellation 1 800 S, affiche une présentation extérieure plus sobre. Cette troisième série abandonne, à l’avant, son extravagant pare-chocs avec ses butoirs en « corne de buffle » (inspiré des modèles américains de la décennie précédente, la mode pour ces éléments de décoration est maintenant, elle aussi, dépassée, en Europe tout comme aux Etats-Unis) au profit d’un pare-choc rectiligne plus classique. Les roues reçoivent, elles, de nouvelles jantes ajourées similaires à celles que l’on retrouve sur l’Amazon. Cette « métamorphose » vers plus de sobriété se poursuit avec l’adoption, en 1967, d’une nouvelle baguette latérale entièrement rectiligne, qui se termine désormais au-dessus des passages de roues à l’arrière. Sur le plan mécanique, le modèle est aussi disponible, à partir de 1966, avec l’ultime version du moteur B 18, dont la puissance atteint à présent les 115 chevaux, offrant au coupé suédois la possibilité d’atteindre la barre des 180 km/h. On retrouvera aussi ce moteur au caractère très véloce sous le capot de la version la plus puissante de l’Amazon, la 123 GT, qui ne connaîtra toutefois qu’une carrière assez éphémère. Ce sera une sorte de baroud d’honneur pour ce moteur à la riche carrière, qui sera remplacé, à l’automne 1969, par un nouveau bloc plus poussé, le B 20. D’une cylindrée de près de deux litres (1 986 cc exactement), ce nouveau moteur animera avec brio aussi bien le coupé 1800 que l’Amazon. Si la puissance n’augmente quasiment pas (à peine 3 ch en plus), ce surcroît de cylindrée permet en revanche d’offrir une plus grande souplesse d’utilisation. En 1970, il recevra un système d’injection électronique d’origine Bosch, en remplacement des anciens carburateurs SU, qui offrira, cette fois, au coupé 1800 (rebaptisé alors 1800 E) un gain de puissance significatif, celle-ci passant à 135 chevaux (SAE) et faisant passer sa vitesse maximale à 190 km/h, tout en faisant baisser la consommation. Un changement technique qui permet également à Volvo d’anticiper les futures normes antipollution qui seront bientôt en vigueur aux Etats-Unis. (Le constructeur tenant fortement à conserver son principal marché d’exportation). Malgré ce changement de motorisation, le coupé conserve son appellation mais voit son aspect extérieur à nouveau sensiblement modifié, avec une nouvelle calandre dont la grille est désormais peinte en noir et reçoit l’écusson B 20, indiquant ainsi la présence sous le capot d’une mécanique nouvelle. Toujours sur le plan technique, le freinage est lui aussi amélioré, bénéficiant désormais de disques sur les quatre roues.
Sur le marché européen, malgré le fait qu’elle approche maintenant des dix ans d’âge (si on prend en compte sa commercialisation effective intervenue au printemps 1961), cette évolution technique lui permettra, là aussi, de retrouver une sorte de « cure de jouvence » qui lui permettra de prolonger sa carrière. Celle qui est maintenant, depuis, la disparition de l’Amazon à la fin de l’année 1970, la doyenne de la gamme Volvo, si elle conserve toujours un prestige quasi intact, n’en commence pas moins à accuser le poids des ans, surtout face aux nouveaux modèles avec qui elle doit désormais cohabiter au sein du catalogue Volvo, notamment la série 144/164. En ce début des années 70, la « fièvre sécuritaire » commence à gagner de plus en plus le constructeur suédois, qui deviendra bientôt le champion n°1 de la sécurité active et passive, la direction et le bureau d’études de la marque faisant très vite de celle-ci leur objectif prioritaire et la faisant passer avant tout le reste, en particulier l’esthétique de ses modèles. Cette nouvelle politique atteindra sans-doute son paroxysme durant la seconde moitié des années 70 et les années 80, avec les Volvo 240, 264, 740 et 760, avec leurs lignes qui semblent avoir été tracées à la règle et à l’équerre, leurs imposants porte-à-faux à l’avant comme à l’arrière et leurs pare-chocs aussi épais que des rails de chemin de fer qui, malgré l’impression rassurante de robustesse dégagée par leur physique, les rendait presque aussi élégantes que des chars d’assaut ! Au vu de la métamorphose qu’on subit les berlines du constructeur suédois durant cette période charnière, qui a contribué à forger l’image que le constructeur (malgré l’évolution tout aussi profonde qu’ont connu ses modèles depuis la fin des années 90 jusqu’à aujourd’hui) possède encore de nos jours, on peut se féliciter que le coupé 1800 n’a pas eu à subir la même transformation physique, laquelle n’aurait sans doute d’altérer de manière profonde son image et sa personnalité.
Si elle échappe, en tout cas en grande partie, à cette « vague » qui frappe le reste de la gamme Volvo, la 1 800 se voit toutefois contrainte, elle aussi, de se mettre à la page sur le plan des équipements de sécurité. Cela se remarque notamment dans l’habitacle, avec l’adoption, à partir de 1968, d’un nouveau volant rembourré au dessin assez massif qui jure quelque peu avec le reste du tableau de bord. Celui-ci, dont le dessin a été légèrement revu, adopte une décoration en faux bois, alors très à la mode. Toujours sur le plan de la sécurité, les pare-chocs se voient doté, à l’avant comme à l’arrière, de galons en caoutchouc qui, heureusement, ne dénaturent pas trop la pureté du dessin originel créé par Pelle Petterson.
Si les ventes du coupé 1800 connaissent, d’année en année, une baisse significative, la marque n’en néglige pas pour autant le sort du vétéran des modèles de sa gamme. La direction et le bureau d’études ont même une idée inattendue pour redynamiser et redorer son image. Jan Wilsgaard, le styliste chargé du projet, dessine alors une carrosserie assez originale, à mi-chemin entre le coupé et le break, qui se caractérise notamment les lignes de sa partie arrière, qui s’interrompent de manière abrupte, formant un panneau de coffre (ou plutôt de hayon) de forme entièrement plane (en forme « tronquée », un peu comme sur la deuxième génération du Spider Alfa Romeo). Bien qu’assez moderne et réussi, le dessin de la poupe tranche sans doute un peu trop radicalement avec les lignes surannées du reste de la carrosserie. C’est sans doute la raison pour laquelle cet étrange projet ne connaîtra pas de suite en série. Malgré tout, l’idée de commercialiser un break à trois portes (« break de chasse » ou « shooting brake », comme disent les Anglais) commence à germer dans la tête des dirigeants et des stylistes de Volvo. Un nouveau projet est alors lancé, mené cette fois par le styliste italien Sergio Coggiola. Un choix qui, de prime abord, peut paraître un peu curieux quand on sait que ce dernier a signé plusieurs voitures (modèles de série ou concept-cars) au style parfois assez radicale. Sa dernière oeuvre « marquante » à l’époque étant le coupé Saab Sonett III, aux lignes assez insolites. C’est à lui que va revenir la mission de transformer le coupé 1800 E pour en faire un élégant break de chasse, au style très épuré.
La mise en production de ce break Volvo d’un nouveau genre, inédit jusque-là dans l’histoire de la marque, prend toutefois plus de temps que prévu et les premiers exemplaires ne sont livrés à leurs clients qu’à l’automne 1971. Recevant la dénomination 1800 ES, celle-ci, malgré sa ligne assez suggestive, n’a toutefois aucune vocation sportive ni utilitaire. En dehors du fait de pouvoir offrir plus de place aux passagers à l’arrière, notamment en hauteur, le break 1800 n’est pas vraiment un modèle en matière d’habitabilité. Comme pour la grande majorité de ce genre de réalisations (que ce soit sur les Aston Martin DB5 et DB6 ou, plus tard, la Jaguar XJS), il s’agit là, avant tout, d’un « exercice de style », la forme n’étant pas vraiment adapté à la fonction. Car si le hayon, composé d’une seule pièce entièrement vitrée, est une réussite et un morceau de bravoure, tant pour le style que sur le plan pratique, en permettant de dégager un seuil de chargement très bas, le volume du coffre n’est cependant guère supérieur, ou à peine, à celui du coupé. La 1800 ES n’étant pas vraiment le modèle idéal pour effectuer un déménagement ou aller faire les brocantes ! En plus de l’étiquette d’« utilitaire » dont sont alors souvent affligé les breaks (c’est d’ailleurs encore souvent le cas aujourd’hui), elle se trouve également handicapée par un prix de vente qui lui confère, là aussi, un caractère assez « élitiste » : En France, il coûte ainsi pas moins de 42 730 F (en comparaison, une Citroën DS 23 vaut seulement 30 300 F et un coupé Peugeot 504 TI 33 220 F). Il en est de même aux USA, où l’acheteur doit débourser 5 150 $, soit autant qu’une Buick Riviera. Outre le fait que la 1800 est alors clairement arrivée en fin de carrière, le caractère « marginal » de ce genre de modèle (il s’agit alors du seul break de chasse produit en série par un constructeur « généraliste », en dehors de la Lancia Beta HPE) et son prix qui traduit bien, là aussi, son caractère assez « élitiste », expliquent que, sur le plan commercial, la version ES ne connaîtra qu’une carrière assez confidentielle. Un peu plus de 8 000 exemplaires à peine (8 077 très précisément) seront en effet produits jusqu’à l’arrêt de sa production en juin 1973. Une grande partie des voitures produites sera destinée au marché américain, celui-ci absorbant près de 80 % de la production, la plupart des autres marché, y compris sur la terre natale du constructeur, n’ayant droit qu’à une faible part du gâteau : à titre d’ xemple, entre 1971 et 1973, seuls 344 exemplaires (coupé 1800 E et break 1800 ES confondus) seront réservés au marché suédois et seulement 125 au marché français !). A cette date, il était d’ailleurs le dernier représentant de la lignée subsistant au catalogue, le coupé 1800 E ayant quitté la scène l’année précédente. Si, tout comme le coupé 1800 avant elle, le break ES a contribué à redynamiser l’image, jusqu’ici un peu « engoncée », de son constructeur, il était néanmoins clair, dès le départ, que la 1800 ES n’était pas destiné à devenir un best-seller et que sa mission consistait, avant tout, à redorer le blason d’un modèle en fin de parcours et à montrer, à nouveau, au public que Volvo n’était pas qu’un constructeur de berlines solides mais, parfois, un peu trop « insipides » et était tout aussi bien capable de créer de parfaites montures de grand tourisme.
Outre son âge assez avancée, ses lignes « rondouillardes » qui étaient désormais passées de mode (pas plus, toutefois, que celle de certains autres modèles de grand tourisme comme la Jaguar Type E), ce sont aussi les nouvelles normes américaines en matière de sécurité, imposées par le gouvernement fédéral et prévues pour entrer en vigueur à partir de 1974, qui vont être la cause de cette fin de carrière précipitée pour la 1800 ES. Le bureau d’études s’étant rapidement rendu compte que les modifications qui devraient, dans ce cas, être apporter au break pour le rendre conforme à la nouvelle législation et lui permettre, ainsi, de poursuivre sa carrière sur le marché américain, seraient bien trop nombreuses et lourdes. Certaines de celles-ci, comme l’adoption de gros pare-chocs « sécuritaires » à absorption d’énergie, risquant, à coup sûr, de défigurer gravement les superbes lignes d’origine du modèle (Il n’y a qu’à regarder ce que cela a donné avec la MG B pour se faire une idée de ce que cela aurait eu pour résultat sur la Volvo). A choisir, Volvo a sans doute fait le bon choix en décidant de mettre la 1800 ES à la retraite anticipée plutôt que de la voir aussi mutiler pour satisfaire aux exigences de l’Agence de la sécurité routière américaine.
Au total, la lignée aura connue une production de 47 462 exemplaires, toutes versions confondues (P 1800, P 1800 S, 1800 E et ES). Des chiffres qui apparaissent, c’est vrai, assez modestes mais, au final, là n’était pas vraiment l’essentiel pour les dirigeants de Volvo. Si le constructeur de Göteborg a lancé l’étude et la commercialisation de la P 1800 et, par la suite, du break de chasse ES, c’était bien pour lui permettre de s’offrir une nouvelle image de marque, à la fois plus « jeune », plus « prestigieuse » et « dynamique » et lui permettre, en Europe comme aux Etats-Unis, d’attirer vers elle, un nouveau genre de clientèle, qui, jusqu’ici, n’avait jamais franchi la porte des concessionnaires Volvo. Bien avant que les constructeurs japonais ne débarquent sur l’Ancien et le Nouveau Continent, avec des modèles comme la Datsun 240 Z ou la Toyota Celica, les conducteurs occidentaux ont ainsi découvert, au volant de cette ravissante suédoise qu’ ils pouvaient jouir des plaisirs essentiels d’une GT, à savoir la vitesse et du confort, sans avoir, pour autant, à devoir s’accommoder et à subir régulièrement les problèmes électriques, les fuites d’huile et autres pannes idiotes dont étaient souvent affectées ses concurrentes anglaises ou italiennes. Sur ce plan, la lignée des Volvo P1800 et les différentes versions qui lui ont succédé ont donc brillamment accomplis leur mission.
Au vu de la réussite des lignes dessinées par Pelle Petterson, le coupé Volvo n’a guère connue de déclinaisons « hors-série ». Parmi les rares carrossiers extérieurs à s’être penché sur la P 1800 figure le carrossier italien Fissore, qui a présenté, en 1965, un coupé fastback, à la ligne d’ ailleurs assez réussie et qui, en tout cas, ne défigurait en rien le travail de Petterson. Si le constructeur, sans doute refroidi par la mauvaise expérience de la P 1800, n’a jamais proposé une version cabriolet de la P 1800 (certains ont sans doute du le regretter), plusieurs artisans, comme Radford en Grande-Bretagne ou, aux Etats-Unis, Volvoville (le concessionnaire de Long Island, près de New York, l’un des plus importants de la côte Est) ont cependant créé des versions décapotables de la Volvo. Si ces réalisations relevaient plus du « décapsulage », elles ont néanmoins été réalisées avec le plus grand soin et présentait souvent un résultat très réussi sur le plan esthétique.
S’il fallait apporter une nouvelle preuve irréfutable de la robustesse, de la fiabilité et de la longévité dont s’enorgueillit depuis longtemps, et à juste tire, le constructeur suédois, c’est sans doute bien le coupé 1800 qui peut l’apporter. C’est en effet un exemplaire de cette lignée, un coupé 1800 S de 1966, acquise neuve à l’époque par Irv Gordon, un ancien professeur de sciences résidant dans la banlieue de New York, qui détient le record du monde du plus grand nombre de kilomètres parcourus à bord d’une même voiture : Plus de… 3 100 000 miles, soit 5 500 000 kilomètres ! Pour donner une idée exacte de ce que cela représente, cela équivaut à 125 tours du monde ou 14 expéditions spatiales aller-retour de la Terre à la Lune ! Un chiffre qui apparaît proprement hallucinant et qui est pourtant bel et bien authentique ! Parcourant déjà plus de 200 km par jour durant sa carrière professionnelle pour se rendre à son travail, l’homme n’a jamais non plus hésité à prendre le volant de sa fidèle monture pour se rendre pour se rendre, à la belle saison, en Floride, où réside la famille de son épouse, à partir avec elle au Canada pour ses vacances au sports d’hiver et, toujours à son bord, à travers le pays pour des séjours gastronomiques à la découverte des spécialités culinaires des quatre coins de l’Amérique.
Une telle fidélité et un tel nombre de kilomètres parcouru avec la même voiture ne pouvait sans doute, tôt ou tard, qu’attirer l’attention du constructeur. D’autant que, dès le milieu des années 70, Irv Gordon a déjà franchi avec elle le cap des 500 000 miles. Lorsque son coupé 1800 S atteint la barre, hautement symbolique, du million de miles, en 1987, son propriétaire se voit même offrir par la marque un coupé 780 flambant neuf. En 1998, alors que son coupé 1800 a atteint 1,69 million de miles (2 700 000 km), il entrera également dans le célèbre Guinness Book des records pour ce fabuleux nombre de kilomètres parcouru avec sa voiture. S’il l’utilise moins souvent qu’auparavant, son fidèle propriétaire en prend néanmoins toujours régulièrement le volant et veille en permanence à ce qu’elle soit prête à prendre la route à tout moment, la faisant d’ailleurs toujours entretenir, depuis l’époque où il en a fait l’acquisition, chez le même concessionnaire. Le moteur est toujours bien celui d’origine et, au cours de sa longue existence, il n’a du subir que deux réfections complètes, l’une à 680 000 miles et l’autre lorsque la voiture a atteint les 2 700 miles ! Tout comme la mécanique, la carrosserie a été inspectée à chaque révision afin de prévenir tout risque de corrosion. La fidèle monture d’Irv Gordon est d’ ailleurs si bien entretenu par son propriétaire comme par le concessionnaire qui en a la charge qu’en 2013 (plus précisément à Anchorage, en Alaska), elle atteint les trois millions de miles parcourus en 47 ans d’existence ! Le moins que l’on puisse dire est que cela représente un beau score, dont le constructeur suédois n’a évidemment pas manqué de faire la publicité. A l’occasion de cet événement, Irv Gordon avait déclaré : « Tout le monde me demande : et après ? Eh bien, je continuerai de conduire ma Volvo P1800 à des expositions d’autos et de voyager à travers le pays. Il n’y a pas grand-chose qui va changer. Mais de là à savoir si je ferai 4 millions de milles (6,4 millions de kilomètres), ça dépend plus de moi que de la voiture. La voiture serait capable de les faire, mais en ce qui me concerne je n’en suis pas sûr. ». En tout cas, une telle fidélité et autant de kilomètres parcourus durant toutes ces années à bord d’une même voiture mérite indéniablement de l’admiration et des louanges !
Philppe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=IeEcdLFQq_w&ab_channel=PetitesObservationsAutomobiles
Une autre Volvo à découvrir https://www.retropassionautomobiles.fr/2021/12/volvo-780-brique-italo-suedoise/