RENAULT 30 – L’échec de la cinquième porte.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la nationalisation de Renault, les dirigeants qui se sont succédé à la tête de ce qui est devenu la Régie Nationale des Usines Renault semblaient avoir fait du haut de gamme une sorte de « sujet tabou ». Il est vrai qu’à la Libération, outre la priorité qui est donnée à la production d’utilitaires, qui doivent permettre de participer à la reconstruction du pays, en ce qui concerne celle des voitures de tourisme, la mission qui est donnée à la firme de Billancourt est de « motoriser les masses ».
C’est pourquoi la marque au losange va donc se spécialiser, durant les trente ans qui suivront la fin de la guerre, dans la production de voitures populaires. Quitte à devoir abandonner à un constructeur rival (Citroën, pour ne pas le nommer) le rôle (fort enviable et envié) de fournisseur officiel de l’Elysée, que Renault avait pourtant occupé durant une grande partie de l’entre-deux-guerres, avec les imposantes 40 CV, Reinastella, Nervastella et autres Suprastella, sous le capot duquel trônaient d’imposants six et ensuite huit cylindres en ligne. Lesquelles serviront donc de voitures de fonction aux derniers présidents de la IIIe République pour leurs déplacements officiels, mais aussi privés. (L’une des dernières d’entre-elles, une limousine décapotable Suprastella utilisée durant l’Occupation par le maréchal Pétain, sera, par la suite, utilisée par le général de Gaulle à la Libération).
Si la Régie tentera, à plusieurs reprises, dans les années 50 et ensuite, de retrouver (en tout cas, en partie) de retrouver ce rôle, notamment avec une limousine rallongée sur base de la Frégate et, au cours de la décennie suivante, avec une Rambler habillée d’une carrosserie blindée. Malheureusement pour la firme au losange, celle-ci n’aura pas les faveurs du général (revenu au pouvoir en 1958). La Rambler en question n’étant d’ailleurs qu’un modèle issu du catalogue du groupe américain AMC, produit sous licence par la marque au losange dans son usine de Aaren s’offrir en Belgique et n’avait donc de Renault que le nom.
Or, au sein de la France des Trente Glorieuses, où de nombreux Français peuvent désormais s’offrir leur propre voiture, où l’essence est (relativement) bon marché, où les limitations de vitesse n’ont pas encore été mises en place et où l’ère du « tout à la voiture » semble encore promis à un bel avenir. C’est pourquoi, au vu de ce tableau assez réjouissant et de ce futur qui s’annonce donc prometteur, deux des plus importants constructeurs de l’Hexagone décident alors, en cette fin des années soixante, de se retrouver les manches et de mettre les petits plats dans les grands afin de pouvoir lancer sur le marché deux nouveaux « vaisseaux amiraux » nantis d’un potentiel suffisant afin de parvenir à damner le pion aux éternelles rivales que représentent les berlines d’outre-Rhin.
Deux modèles produits par deux constructeurs, s’inscrivant dans le même segment de gamme et qui sont donc appelés (assez logiquement) à entrer en concurrence. Mais qui possèdent toutefois un point important en commun : la même motorisation. En l’occurrence, le V6 PRV (des initiales faisant référence aux trois constructeurs ayant participé à sa conception : Peugeot, Renault et Volvo, même s’il est vrai que ce dernier a rejoint les deux premiers en cours de route). En réalité, ce sont deux moteurs qui, à l’origine, auraient dû voir le jour : un V6 ainsi qu’un V8. La (première) crise pétrolière, qui éclatera à l’automne 1973, obligeant alors le trio à revoir ses ambitions à la baisse, en ne commercialisant, finalement, que le V6 et en ajournant « sine die » celui du V8… avant que celui-ci ne soit définitivement enterré par le second choc pétrolier qui surviendra au début de l’année 79.
Outre une flambée des prix de l’essence (assortie d’une récession économique) peu favorable (pour dire le moins) aux mécaniques de grosses cylindrées, ce V6 PRV pâtissait d’une architecture ainsi que d’un comportement quelque peu « bancal » (conséquence du fait que celui-ci avait été conçu pour partager un maximum d’éléments en commun avec le V8), sans compter une gourmandise assez chronique. Un handicap que partageront donc les deux nouveaux hauts de gamme tricolores : la Renault 30 et la Peugeot 604. En ce qui concerne la marque au losange, alors que cette dernière avait pourtant obtenu de son concurrent au lion que celui-ci ne dévoile son nouveau « porte-drapeau » qu’après la présentation de la R30, la firme de Sochaux décidera pourtant de rompre cet engagement.
C’est donc au même Salon automobile, celui de Genève, en mars 1975, que l’une et l’autre seront dévoilées. Le nouveau vaisseau amiral de la marque au losange souffrant également d’un handicap supplémentaire par rapport à la 604 : un hayon, encore empreint d’une connotation jugée trop utilitaire aux yeux d’une grande partie de la clientèle visée. Sans doute quelque peu « grisés » par le succès de la Renault 16, présentée en 1965 et qui avait inauguré le concept de la « cinquième porte » au sein de la catégorie des berlines familiales en France, les hommes du bureau d’études ainsi que les dirigeants du losange s’étaient laissés convaincre que ce concept pourrait connaître un succès comparable sur le segment des berlines grandes routières. Malheureusement, pour les uns comme pour les autres, ils avaient, manifestement, oublié que celui-ci était encore plus conservateur que celui où se situait la R16. C’est pourquoi, si la Renault 30 aura, certes, l’occasion de fréquenter les cours des ministères ainsi que celle de l’Elysée, ce sera son éternelle rivale, la Peugeot 604, qui tiendra le haut du pavé, sa silhouette à « trois volumes », bien plus classique, certes, mais aussi plus « statutaire ».
Sur le plan des performances ainsi que de la tenue de route, les premières sont jugées inférieures aux références de sa catégorie et, en ce qui concerne le second critère, de nombreux essayeurs ne se privent pas de pointer du doigt la souplesse jugée trop excessive de ses suspensions (en particulier dans les virages serrés pris à haute vitesse). Outre une volonté de rentabiliser au mieux leurs investissements, si les dirigeants de Renault décidèrent rapidement d’en dériver un modèle plus populaire, c’est aussi dans l’objectif de remplacer (à court ou moyen termes) la R16, laquelle affichait alors déjà dix années de bons et loyaux services au compteur (même si sa production ne prendra finalement fin qu’en 1980, trois ans après le lancement de celle qui prendra finalement sa place au sein du catalogue Renault). Cette « version plébéienne » de la R30, la Renault 20, faisant son apparition huit mois après cette dernière, en novembre 1975. Celle-ci ne se distinguant, esthétiquement, de son aînée par ses phares rectangulaires remplaçant les quatre optiques circulaires de la R30.
Pour en revenir à la R30, elle n’est d’abord proposée, à son lancement, qu’avec une seule finition, la TS. La version du V6 PRV que l’on retrouve sous son capot est alimentée par deux carburateurs Solex, développant 131 chevaux pour une cylindrée de 2 664 cc, un rapport ch/l qui, même pour l’époque, apparaît plutôt modeste. A l’occasion de l’année-modèle 77, les poignées dites « inversées » (avec le bouton-poussoir placé en haut) sont remplacées (aussi bien sur la R20 que sur la R30) par de nouvelles poignées « classiques » (avec la palette placée en haut). Sur les deux modèles, le bouchon de réservoir apparent cède la place à une trappe métallique couleur carrosserie. Sur la face avant, l’entourage des phares reçoit désormais un revêtement en aluminium. En juillet, la R30 reçoit un nouveau système d’alimentation désormais assuré par un seul carburateur d’origine Weber. Si le moteur PRV voit alors sa puissance redescendre (très) légèrement (128 ch), les performances demeurent, toutefois, quasiment identiques. Lors du millésime 78, les rembourrages en caoutchouc sur les pare-chocs deviennent plus épais, les feux arrière reçoivent des cercles chromés et, un an plus tard, une nouvelle calandre arborant des barrettes à l’aspect chromé.
Les journalistes de la presse automobile ainsi qu’une part non négligeable des propriétaires du modèle ayant toujours reproché à celui-ci le caractère un peu trop « soiffard » de sa mécanique, le constructeur décide alors de remplacer la classique alimentation à carburateur par l’injection électronique (de type Bosch K-Jetornic), qui présente le double avantage d’apporter un surcroît de puissance (celle-ci atteignant alors 142 chevaux), tout en diminuant (sensiblement) la consommation (même si celle-ci ne descend que de 11,9 à 11,5 litres, pas vraiment donc de quoi revendiquer la sobriété d’un chameau !). La vitesse de pointe, de son côté, n’augmentant guère, passant simplement de 180 à 188 km/h. Recevant l’appellation R30 TX, celle-ci se distingue par une nouvelle calandre, ses nouveaux pare-chocs dépourvus de butoirs, à l’avant et à l’arrière, ainsi qu’un rétroviseur extérieur de couleur noire (et non plus chromé). Cette nouvelle TX peut également recevoir, en option, les célèbres Michelin TRX, lesquels représentent véritablement la « Rolls des pneumatiques français » et, bien que réputés pour offrir un confort de roulage que de peu de pneumatiques de l’époque sont réputés pouvoir égaler, mais faisant payer fort cher ces qualités. (Ceux-ci seront également disponibles sur la R20 à partir de 1980). Le lancement de la R30 équipée du V6 à injection ne mettra pas automatiquement fin à la production de la version originelle à carburateur, celle-ci ne disparaissant finalement du catalogue qu’en 1981.
A l’occasion de cette année-modèle 81, la R20 ainsi que la R30 recevront un nouveau tableau de bord entièrement redessiné, abandonnant la planche de bord habillée de métal poli, avec ses cadrans ronds, pour un imposant combiné en forme de « L inversé » tourné vers le conducteur. Un nouveau tableau de bord qui apparaissait sans doute très moderne au début des années 80, mais qui vieillira, toutefois, assez rapidement et plutôt mal aux yeux de la plupart des amateurs des R20 et R30, notamment à cause de ses plastiques de qualité assez « moyenne ».
Alors que, jusqu’à présent, celle qui fut, depuis son lancement, le modèle haut de gamme de la marque au losange n’avait toujours été, du fait de son statut, équipée que du V6 franco-suédois, elle sera également proposée, à la toute fin de sa carrière (à partir du millésime 82) en version turbo-diesel. Le moteur en question affichant une cylindrée de 2 litres (2 068 cc, pour être précis) et une puissance de 85 ch. Bien qu’avec une consommation de 7,8 litres/100 km, elle puisse revendiquer une sobriété qui a toujours fait défaut au V6 PRV, ce fut, toutefois, au prix de performances assez « moyennes » : 160 km/h et 15,4 secondes pour parcourir le 0 à 100 km/h. Extérieurement, cette R30 roulant au gazole se reconnaît à ses jantes en aluminium empruntées à la R18 Turbo ainsi que ses ailes avant avec des passages de roues au diamètre réduit. Le reste de sa présentation restant identique à celle de la version TX. En dehors de sa motorisation, la seule différence notable avec la R30 V6 réside dans le montage d’un train avant identique à celui de la R20.
Outre le fait qu’elle ne pourra jamais afficher une image aussi « prestigieuse » que la TX V6, la R30 Turbo D arrivait, de toute façon, bien trop tard pour avoir une chance quelconque de redresser la barre. La mise à la retraite de la Renault 30 , ainsi que de la R20, et leur remplacement par la Renault 25 ayant alors déjà été acté par la direction de la Régie. La Renault 30 ne connaîtra ensuite plus guère d’évolutions significatives jusqu’à l’arrêt de sa production à l’automne 1983. Il faudra toutefois encore plusieurs mois à Renault afin de pouvoir écouler les stocks, ce qui fait qu’une partie des ultimes exemplaires des Renault 20 et 30 seront vendus et immatriculés en tant que modèles du millésime 1984. Leur remplaçante commune, la R25, n’étant dévoilée qu’au cours de cette même année 84.
Sur le plan des chiffres de production, si le score réalisé par ce duo reste, certes, nettement inférieur à celui de la « légendaire » R16 (laquelle avait atteint environ 1 846 000 exemplaires en treize ans de carrière), avec un peu moins de 750 000 unités en tout (environ 607 400 pour la R20 et 136 400 pour la R30). Même s’il faut rappeler que, non seulement, cette dernière, mais aussi la R20 (ne serait-ce qu’en raison d’un gabarit situé un cran au-dessus de la R16, même si elle lui léguera certaines de ses motorisations) officiaient dans une autre catégorie que la Renault 16 et qu’à certains égards, l’on ne peut donc pas véritablement qualifier cette dernière de « berline haut de gamme ».
En dehors du duo R20 / R30, seule la R25 parviendra à faire mieux, avec 780 000 exemplaires entre 1984 et 1992. Après quoi, les autres grandes berlines qui porteront le sigle du losange subiront tous ce que beaucoup surnommeront la « malédiction du haut de gamme français ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 313 000 Safrane entre 1992 et 2002 et, en tout et pour tout, que… 62 000 Vel Satis entre 2002 et 2009. Après quoi, la marque au losange décidera finalement de jeter l’éponge, abandonnant alors définitivement le segment des berlines grandes routières aux constructeurs allemands, lesquels y faisaient, depuis longtemps déjà, la loi.
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=j4TS4bR_JI4&ab_channel=INAOfficiel
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