ALPINE A 310 4 cylindres – La Lotus française.
En ce milieu des années 60, l’Alpine A110 n’a pas encore acquis le statut culte qu’elle aura à partir de la fin de cette décennie et n’a donc pas encore commencé à amasser « à la pelle » les trophées en rallyes. Il faut en effet rappeler que celle-ci (dont la berlinette n’est d’ailleurs que l’une des versions proposées au lancement du modèle, même si elle finira, assez vite, par rester la seule disponible au catalogue) a connu des débuts quelque peu laborieux.
Toujours attentif à l’évolution du marché des voitures de sport comme à celle de la course automobile, Jean Rédélé, le fondateur d’Alpine, est, assez rapidement, convaincu dans le potentiel en compétition de sa dernière née. Toutefois, il a bien conscience, également, quelques soient les succès qu’il connaîtra dans les rallyes et autres épreuves, sur le plan strictement commercial, la berlinette A110 ne restera sans doute, au final, qu’un modèle assez « marginal ».
Comme beaucoup d’autres, aussi bien au sein des autres constructeurs que du public, son attention n’a pas manqué d’être attiré (pour ne pas dire, à certains égards, captivé) par la nouvelle 911 de chez Porsche, présentée en 1963 et, même si elle reste encore assez « sage », dans sa présentation comme dans ses performances, durant les premières années de sa carrière, n’en recèle pas moins, elle aussi, un potentiel fort important. Aux yeux de Rédélé, cette dernière indique clairement la voie à suivre sur ce que doit être « la GT idéale », le succès rapide qu’elle connaît semblant d’ailleurs lui donner raison.
En outre, la compétition, domaine sur lequel Alpine a bâti toute son image de marque, nécessite des investissements de plus en plus importants et, même, en termes de retombées financières directes, coûte souvent davantage qu’elle ne rapporte. Si la firme de Dieppe veut donc pouvoir rester présent et, même, demeurer un acteur important dans l’univers de la compétition, il faut donc que celle-ci puisse élargir son offre en incluant à son catalogue une sportive à l’habitabilité, au confort ainsi qu’à l’équipement nettement supérieurs à celui de la spartiate berlinette A110.
Une GT qui devra, en outre, pouvoir offrir quatre places (ou, tout au moins, une banquette permettant d’accueillir deux enfants ou des adultes en dépannage pour de courts trajets) et dont les performances lui permettent d’atteindre, sans trop de difficultés, la barre (hautement symbolique) des 200 km/h (nécessaire, aux yeux de la presse comme du public, afin de pouvoir véritablement revendiquée l’appellation de « Grand Tourisme »).
L’étude de celle qui doit devenir la « Porsche française » débute en 1968 et sera dévoilée eu public à peine trois ans plus tard, à l’occasion du Salon automobile de Genève, en mars 1971, cette nouvelle « GT made in France » est alors dévoilée au grand public. Très réussies, les lignes de la nouvelle Alpine, presque « taillées à la serpe » et, donc, très éloignées des « rondeurs » de la silhouette de la berlinette A110 (qui trahissent que cette dernière a été conçue au début des années 60) sont dues au styliste Michel Beligond. Ce dernier travaillait, auparavant, auprès de Gaston Juchet au sein du bureau de style de Renault, avec l’aide d’un autre jeune designer de talent, Yves Legal. Il s’agira toutefois de l’une des dernières oeuvres de ce dernier. Atteint par la sclérose en plaques, celle-ci finira par l’emporter en 1973, à l’âge d’à peine 46 ans.
Ce que les visiteurs de l’événement qui viennent admirer la nouvelle Alpine sur le stand du constructeur dieppois ignorent est que si celle-ci trône sur un plateau tournant et surélevé, ce n’est pas seulement pour mieux la mettre en valeur. Mais aussi (ou surtout ?) pour dissimuler le fait que le coupé arborant une très belle peinture grise métallisée n’est encore, en réalité, qu’une voiture inachevée.
Plusieurs mois de travail (que l’on devine sans doute intenses) seront alors nécessaires avant que le modèle de série ne soit, finalement, prêt à être lancé sur le marché, en septembre de la même année. Si, dans l’ensemble, celui-ci reste très proche de la voiture exposée au Salon de Genève, la partie arrière a toutefois dû être redessinée pour des raisons de mise aux normes. Les feux arrière placés au-dessus du pare-chocs devront ainsi être déplacés sous celui-ci, les persiennes recouvrant entièrement la lunette arrière devant, de leur côté, être abandonnées (une contrainte à laquelle fut aussi soumise la Lamborghini Miura).
En ce qui concerne l’architecture ainsi que l’ensemble de la fiche technique, l’on navigue ici en terrain bien connu, puisqu’il n’y a pas de véritable révolution. A l’image de sa glorieuse aînée, la nouvelle A310 reprend ainsi le principe du châssis-poutre en acier supportant une caisse en polyester. Comme sur l’A110 ainsi que les autres modèles précédents, la plupart des organes mécaniques ont été, tout simplement, prélevés au sein de la vaste « banque d’organes » de Renault (ce qui est on ne peut plus logique, étant donné que la marque au losange est le « partenaire attitré » d’Alpine depuis la création de celle-ci en 1955).
L’on retrouve ainsi (à titre d’exemple) sur la nouvelle Alpine des freins à disques ventilés hérités de la R12 Gordini (ceux à l’arrière provenant, quant à eux, de la R16), tout comme les bras supérieurs sur le train avant de la suspension ou encore les roulements de roues issus de la R18. Bien que figurent également quelques éléments d’origine Peugeot, à l’image du système de direction (504) et ainsi que des soufflets de cardan (empruntés, eux, à la 505). Il en est de même pour d’autres éléments de la carrosserie et de l’habitacle : poignées intérieures identiques à celle de la R5 et commodos de phares de la R6, pour ne citer que ces derniers. Les « composants extérieurs » (c’est-à-dire prélevés sur des modèles de grande série déjà existants) n’étant, toutefois, pas tous d’origine française, puisque l’on retrouve également quelques éléments venus de l’étranger, tels les vérins de capot qui sont ceux de la Fiat Ritmo.
Outre les freins sur les roues arrière, la Renault 16 lègue aussi (et plus encore) à l’A310 sa motorisation (pour être plus précis, celle que l’on retrouve sur la version TS). Laquelle fut toutefois optimisée par les ingénieurs d’Alpine, atteignant ainsi, sur la nouvelle berlinette, une cylindrée de 1 605 cc (contre 1 565 à l’origine), par augmentation de l’alésage et une puissance de 125 chevaux. Concernant la transmission, celle-ci fait, là aussi, appel à une boîte de vitesses d’origine Renault, celle que l’on retrouve sur la R12 Gordini (mais modifiée afin de pouvoir s’adapter, mieux encore, à un usage sportif). Il n’y a, certes, pas de quoi « grimper aux arbres » et bien que cela puisse sembler un peu « juste » pour pouvoir véritablement prétendre au titre de « Porsche française ». (A titre de comparaison, la 911 de chez Porsche, dans sa version 2.4 S) atteint les 190 chevaux).
A l’image de la plupart de ses modèles de compétition (tels les sport-prototypes qui disputeront, entre autres, les 24 Heures du Mans), la marque fondée par Jean Rédélé a souvent dû se contenter des mécaniques des modèles de grande série de Renault. (Au fil du temps, la firme de Dieppe se retrouvera si fortement liée à la Régie qu’elle se verra quasiment obligée de se fournir, exclusivement, auprès de celle-ci pour ses motorisations). Si, au moment du lancement de l’A310, les ingénieurs de Dieppe ont, depuis longtemps, appris à tirer le meilleur parti de celles-ci, il n’en reste pas moins que, sur les Alpine de compétition comme pour les modèles « civils », celles-ci finiront (parfois, même, assez rapidement) par montrer leurs limites.
Une autre version, la VF (la version originelle ayant reçu, quant à elle, le code interne VE) , toujours motorisée par un quatre cylindres frappé du losange mais emprunté, cette fois, au coupé R17 TS. S’il s’agit toujours de la même motorisation et si sa puissance reste identique à celle de la version à carburateurs, son alimentation est, ici, assurée par une injection Bosch D-Jetronic, gage d’une fiabilité accrue. Ayant été conçue, à l’origine, à destination des marchés étrangers, du fait des normes plus draconiennes mises en place par les marchés extérieurs. La législation française se durcissant, elle aussi, au fil du temps, sans compter les effets de la première crise pétrolière, survenue à l’automne 73, ce nouveau contexte va alors obliger la direction d’Alpine à opter en faveur de ce dernier et, donc, à le généraliser sur l’ensemble des exemplaires de l’A310 sortant de l’usine de Dieppe. Le seul changement notable permettant de différencier les Alpine produite à partir du début de septembre 1973 étant les prises d’air triangulaires placées, à l’origine, au pied du pare-brise, mais qui migreront ensuite au-dessus des phares.
Cette année 1973 sera aussi marquée (malheureusement, sans doute, à bien des égards) par la perte de l’indépendance pour Alpine. Jean Rédélé s’étant, en effet, vu contraint d’accepter le rachat de la marque qu’il avait fondé par Renault (même s’il restera encore à la tête de celle-ci jusqu’en 1978).
Le gouvernement français serrant encore un peu plus la visse, il est alors décidé d’opter une autre version du 4 cylindres Renault, celui que l’on retrouve sur la R16 TX (un bloc de 1 647 cc, dont l’alimentation est assurée par un carburateur Weber, mais dont la puissance n’est plus, ici, que de 95 ch). Cette nouvelle version, recevant la dénomination VG, sera, toutefois, l’ultime évolution de la première génération de l’Alpine A310.
Le lancement de la nouvelle berline haut de gamme de la marque au losange, la R30, équipée du célèbre V6 conçue en collaboration avec Peugeot et Volvo. Renault étant convaincu de tenir enfin la motorisation idéale qui permettra à l’A310 de revendiquer pleinement le surnom de « Porsche française » (un surnom qui lui avait sans doute été attribué de manière un peu trop hâtive ou abusive).
La Régie décidant alors, non seulement, de mettre le quatre cylindres à la « retraite anticipée » (s’agissant de l’Alpine A310 s’entend) mais également de lui offrir une opération de chirurgie esthétique. Celle-ci lui faisant perdre son impressionnante batterie de phares au « profit » d’une phase avant plus massive, mais aussi plus classique, avec seulement quatre phares au lieu de six précédemment.
Les guillemets entre le terme « offrir » sont voulus, car, bien qu’ayant été redessinée par Yves Legal lui-même, certains jugeront que la version originelle était nettement plus réussie, autant qu’originale, que la seconde génération équipée du V6 PRV. Hormis le lifting de la face avant, la version originelle de l’A310 V6 conservera, toutefois, la « purteé » du dessin originel créé par Michel Beligond. Ce qui ne sera, toutefois, plus vraiment le cas des versions ultérieures, en particulier les ultimes Pack GT et Boulogne.
Seule cette dernière, dont la mécanique bénéficiera d’une « remise à niveau » permettant de faire grimper la puissance pour frôler la barre des 200 chevaux, méritant sans doute pleinement de porter le surnom de « Porsche française ». Plus que celui-ci, celui de « Lotus française » serait une appellation ou un qualificatif plus adéquat (même si celui-ci s’applique, probablement, surtout, pour l’A310 V6, tant celle-ci s’apparente, tant par son architecture que par ses performances, à la Lotus Esprit contemporaine).
S’agissant des chiffres de production, la version originelle de l’A310 « L4 », la VE, sera la plus produite, avec 1 255 exemplaires sortis de l’usine Alpine de Dieppe entre octobre 1971 et décembre 73. La VF, de son côté, sera assemblée à 699 unités entre avril 1973 et avril 76. Sa dernière évolution, la VG, restant la plus rare, puisqu’elle n’aura été assemblée, en tout et pour tout, qu’à 386 exemplaires entre septembre 1975 et juillet 76. Au total, il n’y aura, ainsi, eu que 2 340 A310 en versions 4 cylindres, soit une production moyenne de 468 exemplaires par an.
A comparer à celle de l’Alpine A110, qui, avait atteint, de son côté, toujours en moyenne, environ 505 unités chaque année (7 579 exemplaires au total, celui-ci comprenant, non seulement, la version berlinette, mais aussi le cabriolet ainsi que le coupé 2+2). Même s’il est vrai que cette dernière connut une carrière beaucoup plus longue : quinze ans en tout, entre 1962 et 1977. Ce qui en fait sans doute le deuxième modèle le plus vendu de l’histoire de la marque (avant la disparition de celle-ci en 1995 et ensuite la résurrection en 2017), après l’A310 V6.
Philippe ROCHE
Photos weelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=U0ZatedNz6Q&ab_channel=PetitesObservationsAutomobiles
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