PEUGEOT 404 (berline et break) – Une lionne à l’américaine.
De tous les grands constructeurs français, Peugeot est sans doute celui qui, du point de vue des dommages et destructions subies par ses usines, eut le plus à souffrir de la période de l’Occupation. Ce qui explique sans doute qu’à la Libération, la marque au lion ait choisi, s’agissant de ses voitures de tourisme, de ne reprendre uniquement que la production de la 202, son modèle d’entrée de gamme d’avant-guerre. Il est vrai qu’en ces temps difficiles des premières années de l’après-guerre, l’acquisition d’une simple voiture neuve, même parmi les modèles les plus modestes qui sont alors proposés sur le marché français, représente encore un « luxe » inaccessible pour une grande partie de la population.
Le lancement de la première Peugeot de l’après-guerre, la 203, en 1948, illustre toutefois bien la volonté du constructeur de Sochaux de tourner la page de ces années noires et d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire. Si, après la disparition de la 202, l’année suivante, Peugeot pratiquera alors, durant six ans, la politique du modèle unique, la présentation, en 1955, de la nouvelle 403 va, toutefois, y mettre fin. Outre qu’elle marque une montée (sensible) en gamme par rapport à la 203, avec un modèle d’un gabarit (légèrement) plus grand et aussi plus puissant, avec un niveau d’équipement plus élévé ainsi qu’une carrosserie aux lignes plus modernes, la 403 marque aussi le début d’une longue (et fructueuse) collaboration entre Peugeot et le carrossier italien Pininfarina.
Lequel, lors du lancement de l’étude d’un nouveau modèle par la direction de Sochaux, sera alors sollicité, de manière quasi systématique et mis en concurrence avec le bureau de style du constructeur. (Ce qui, ainsi que l’on peut, évidemment, s’en douter, ne manquera pas de faire grincer des dents au sein de celui-ci lorsque ce sera le projet soumis par l’Italien qui remportera les faveurs des dirigeants du lion).
L’arrivée de la 403 n’aura, toutefois, pas pour conséquence (immédiate) la fin de la production de la 203 (même si celle-ci se voit alors « rétrogradée » au rôle d’entrée de gamme). Les deux modèles cohabitants, en effet, au catalogue jusqu’en 1960, date à laquelle la vénérable 203 fait finalement valoir ses droits à la retraite, après douze années de bons et loyaux services. Pour la remplacer, le constructeur dévoile une version (fort) dépouillée de la 403, qui reçoit la dénomination 403/7. A l’autre extrémité (et donc, au sommet) de la gamme, cette même année 1960 sera, surtout, marquée par celle qui va alors recevoir le rôle de nouveau « porte-drapeau » de la marque et qui sera également amenée, à terme, à remplacer pleinement la 403.
Entrée en scène au début du mois de mai 1960, celle-ci représente donc le second modèle de la marque au lion dont les lignes ont été tracées par les stylistes de Pininfarina à Turin (même si Peugeot préférera taire, en grande partie, ses origines italiennes, redoutant probablement qu’une part non négligeable de sa clientèle traditionnelle ne voie d’un mauvais oeil cette « poussée d’italophilie » un peu trop prononcée). Bien que dessinées en Italie, les lignes de la nouvelle 404 ne sont, toutefois, pas sans rappeler, sur bien des points, celles des modèles de la production américaine contemporaine.
Ce qui n’est d’ailleurs pas un cas isolé, loin de là, car, en dehors, même, de ceux produits par les filiales européennes des constructeurs américains (Opel en Allemagne et Vauxhall au Royaume-Uni pour General Motors, ainsi que les divisions de Ford dans ces deux mêmes pays), de nombreux autres constructeurs européens adopteront les canons esthétiques alors en vigueur à Detroit. Tout en restant, néanmoins, dans un style « politiquement correct », loin du luxe tapageur de la plupart des voitures américaines de la fin de la décennie précédente.
La clientèle de Peugeot est constituée, à l’époque, dans sa grande majorité, de « prolétariens » et de « petits bourgeois » assez « collets montés » (même si tous ces termes peuvent sembler assez péjoratifs, ils reflètent, toutefois, assez bien la vérité) et donc traditionalistes et conformistes. Il est donc important, aux yeux de la direction du constructeur de Sochaux, de ne verser dans aucune outrance en matière de style. Ce qui explique que Peugeot ait refusé certaines des propositions de Pininfarina pour la 404, à l’image de la jupe arrière recouverte d’un revêtement en aluminium strié.
La présentation intérieure de l’habitacle marque également une progression assez significative par rapport à sa devancière et illustre une (légère) montée en gamme de la 404 par rapport à l’ancienne 403. Que ce soit dans le dessin de la planche de bord, les teintes vives de la sellerie ainsi, même, que le coffre à bagages recouvert de moquette.
Sous le capot, si l’on retrouve, comme sur la 403, un incontournable quatre cylindres en ligne, celui-ci présente, toutefois, quelques évolutions notables par rapport à la motorisation qui équipait cette dernière. Celui-ci étant, à présent, incliné à 45 degrés, permettant ainsi le montage d’un capot à la ligne plus basse. (Certaines rumeurs prétendant même qu’il s’agirait, en réalité, de la moitié d’un V8 qui fut, un temps, étudié par le bureau d’études, mais ce point reste, aujourd’hui encore, sujet à caution). Le moteur de la 404 conservant, toutefois, comme sur la 403, les chambres de combustion hémisphériques ainsi que le pont à vis, deux caractéristiques techniques auxquelles la marque au lion se montre alors fort attachée. En ce qui concerne la transmission la quatrième vitesse est en prise directe et, du côté des suspensions, de nouveaux combinés ressorts amortisseurs, placés presque à la verticale, remplacent les anciennes lames placées en position transversale.
Commercialisée en mai 1960, la berline 404 (qui, pour le moment, n’est encore proposée que dans une seule version, baptisée Grand Tourisme) est affichée au tarif de 9 150 (nouveaux) francs (à titre de comparaison, la 403 en finition Grand Luxe est vendue 8 250 F. Le catalogue de la 404 ne comportant encore que deux options : le toit ouvrant ainsi que l’embrayage automatique Jaegar (facturées, respectivement, 150 et 450 francs). Comme il n’est guère surprenant, la nouvelle berline Peugeot connaîtra, dès son lancement, partout en France, les faveurs du public, la barre des 10 000 exemplaires sortis d’usine étant déjà franchie dès la fin de l’été). Au vu de l’importance de ce succès, la préoccupation première de Peugeot est donc de faire tourner à plein régime les chaînes d’assemblage de l’usine de Sochaux afin de pouvoir satisfaire la demande. C’est pourquoi, lors du Salon de l’automobile de Paris, en octobre de la même année, la 404 ne connaîtra aucun changement majeur.
La première évolution significative n’intervenant que dans le courant de l’année suivante (1961 donc), une nouvelle finition haut de gamme, recevant l’appellation Super Luxe, fait son apparition au catalogue. Celle-ci se différencie par sa sellerie réalisée entièrement en cuir (le plus souvent en teinte « naturelle », mais disponible aussi, suivant les teintes extérieures, en couleurs noire ou verte), de nouvelles moulures chromées supplémentaires ainsi qu’une peinture de carrosserie métallisée.
Le Salon de Genève, en mars 1961, sera marqué par une autre évolution qui marquera, non seulement, l’histoire de la 404, mais aussi celle de la firme de Sochaux, du point de vue technique, cette fois-ci. A partir de cette date, l’acheteur se verra, en effet, proposée une version à « hautes performances » dont l’alimentation n’est, désormais, plus assurée par le traditionnel carburateur, mais par un système d’injection (mécanique, toutefois, l’électronique n’étant pas encore mise au point). Celle-ci étant, toutefois, d’origine germanique (aucune entreprise française n’ayant, en effet, encore eu l’audace de se lancer dans cette voie), en l’espèce, la firme Kugelfischer (qui fournit également ce même système pour certains modèles du constructeur bavarois BMW). Avec une puissance de 85 chevaux (contre 72 seulement pour la version à carburateur), la 404 à injection atteint la barre des 160 km/h en vitesse de pointe.
Le Salon de 1961 (qui sera le dernier à se tenir au Grand Palais des Champs-Elysées, avant son déménagement au Palais des Expositions de la Porte de Versailles) sera marqué, pour Peugeot, par le présentation des dérivés coupé et cabriolet de la 404, toujours dessinés par Pininfarina, mais bénéficiant de lignes spécifiques, ne partageant aucun panneau de carrosserie en commun avec la berline.
Ce n’est, toutefois, que lors du début de l’année-modèle 1963 que sa commercialisation deviendra effective, n’étant disponible qu’avec la plus haute finition (la Super Luxe), confirmant ainsi son statut de nouvelle version haut de gamme de la 404. A l’autre extrémité de la gamme, en bas de celle-ci, le catalogue voit également l’apparition, à l’automne de cette même année 1963, d’une 404 roulant au gazole. Sous son capot, l’on retrouve, en effet, le moteur XD 8 de 8 CV fiscaux (les compagnies de taxis ayant, toutefois, eu, quelques mois plus tôt, la primeur de cette version Diesel, avec un moteur dont la puissance fiscale sera ramenée à 7 CV). A la même époque, l’ensemble des motorisations à essence profite d’un vilebrequin à cinq paliers (au lieu de trois précédemment).
Depuis son lancement, la 404 (quelles que soient les versions) avait toujours dû s’accommoder du classique système à tambours sur les quatre roues. Toutefois, malgré l’augmentation de leur diamètre à partir de 1962, ceux-ci finissent par montrer leurs limites, en particulier sur les exemplaires recevant la motorisation à injection. L’on se serait, assez logiquement, attendus que ce soit la version haut de gamme Super Luxe (en particulier dans sa version à injection) qui bénéficie des freins à disques. De manière aussi étrange qu’inattendue, ce sont pourtant la 404 / 8 d’entrée de gamme ainsi que les exemplaires destinés au marché américain (dans ce dernier cas, en raison des nouvelles normes antipollution plus sévères qui viennent d’entrer en application aux Etats-Unis) qui en seront équipés en premier, à compter de l’année-modèle 1968. Ce nouveau système de freinage ne concernant, toutefois, que les roues avant, ce qui est, toutefois, déjà un progrès fort appréciable pour une berline familiale populaire à l’époque. Les modèles Diesel, quant à eux, devront (malheureusement) toujours se contenter des simples freins à tambours, dépourvus, en outre, de tout système d’assistance, à l’avant comme à l’arrière.
Le millésime 68 voyant aussi le remplacement, sur toutes les versions de la 404, de l’ancienne grille de vitesses avec la « première en bas » (un système qui avait équipé l’ensemble des Peugeot depuis le lancement de la 203 en 1948). En ce qui concerne le reste de la gamme Peugeot, l’année 1965 sera marquée par l’apparition de la première traction avant de la marque, la 204, qui sera (entre autres) la première traction avant de la marque au lion, l’ancienne 403 quittant, quant à elle, la scène l’année suivante, après onze ans de bons et loyaux services. S’agissant de la 404, en cette fin des années soixante, celle-ci continue à demeurer une référence incontournable pour le constructeur de Sochaux. Après l’alimentation à injection ainsi que le moteur Diesel apparaît une autre innovation concernant sa fiche technique : une boîte de vitesses automatique optionnelle (d’origine ZF) sur la version Super Luxe à partir de 1966 et ensuite sur la 404 Grand Tourisme en 1969. Cette dernière sera également disponible, entre 1966 et 68, avec l’injection.
Suivant en cela l’exemple de la 403 après le lancement de la 404, la présentation, à l’automne 1968, de la nouvelle 504 (première Peugeot à inaugurer la lignée des « 500 »), si elle apparaît clairement destinée, à terme, à la remplacer, ne signifiera pas, pour autant, la mise à la retraite de celle qui l’a précédée. Même si cela aura pour conséquence, dans l’immédiat, que la 404 devra, dès lors, lui céder sa place à l’avant-scène. La berline Super Luxe ainsi que l’alimentation à injection étant les premières à disparaître du catalogue (la 404 n’étant donc, désormais, plus disponible qu’avec les moteurs à carburateur). La version Confort d’entrée de gamme, qui n’a jamais vraiment rencontré les faveurs de la clientèle, étant supprimée l’année suivante. A partir de 1969, la berline 404 n’est donc plus disponible en France qu’en une seule version, laquelle sera conservée au catalogue durant encore six ans, jusqu’en 1975. Si sa carrière dans l’Hexagone (qui aura duré pas moins de quinze ans) prend alors fin, elle continue toutefois à être produite sur les marchés d’exportation durant encore trois ans, jusqu’en novembre 1978. A cette date, les premiers exemplaires de la nouvelle Peugeot 505 (destinée à prendre, à son tour, la succession de la 504) sont déjà sortis des usines de Sochaux.
S’agissant des versions breaks de la 404, ceux-ci feront leur apparition au catalogue Peugeot à l’automne 1962 (environ deux ans et demi après la berline). Deux versions sont alors proposées : la Familiale, disposant de trois rangées de sièges et recevant les mêmes motorisations (essence 9 CV ou Diesel 8 CV) ainsi qu’un équipement et une présentation intérieure identique à celle de la berline. Ainsi que la Commerciale, à la vocation (comme son nom l’indique) nettement plus utilitaire, équipée d’une banquette arrière rabattable, à l’équipement simplifié et à la présentation nettement plus austère. En ce qui concerne les motorisations, si elle est, elle aussi, disponible en essence ou en Diesel, pour la première, il s’agit d’une version sensiblement moins puissante, puisque sa puissance fiscale n’est que de 8 CV. Quant à la version Diesel, elle recevra d’abord la version de 7 CV (destinée, au départ, aux taxis), avant d’être équipée, par la suite, de la même version 8 CV que la berline.
Outre ces dernières, une Fourgonnette (qui, malgré son appellation, n’était, en réalité qu’un break Commerciale dépourvut de banquette à l’arrière ainsi qu’une version haut de gamme Super Luxe, reprenant la présentation ainsi que l’équipement de la berline du même nom. Si la boîte automatique équipa également certaines versions du break 404, celles-ci furent, cependant, réservées au marché américain… ainsi qu’à la Police parisienne ! Contrairement à ce qui sera le cas pour d’autres modèles du lion ainsi que pour certaines de ses concurrentes, les breaks 404 s’effaceront, toutefois, avant la berline, puisqu’ils céderont la place à leurs homologues au sein de la gamme 504 dès l’automne 1971. (Tout du moins sur le marché français, puisque les breaks 404 continueront à être diffusés à l’exportation durant encore quatre ans, jusqu’en 1975.
La 404 continuera pourtant à perdurer au catalogue Peugeot, en France comme à l’étranger, sous la forme d’une camionnette bâchée, dont la production était assurée par le carrossier industriel Chausson, qui ne quittera la scène qu’au printemps 1988, soit pas moins de dix ans après la berline et treize ans après le break. Si l’on prend en compte la production de cet « ultime survivant », la Peugeot 404 aura connue, au total, une carrière longue de vingt-huit ans !
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=GbAUUCVsGp4
Une autre lionne https://www.retropassionautomobiles.fr/2024/07/peugeot-305-un-lion-sans-les-crocs/