DARMONT-MORGAN - Cyclecars anglo-français.

DARMONT-MORGAN – Cyclecars anglo-français.

Au vu du très bon rapport prix/poids/performances offert par la création de Henry Frederick Stanley Morgan (son nom complet pour l’état civil), ses amis lui demandent alors de créer à leur intention d’autres exemplaires de son tricyclecar. Lesquels vont, à leur tour, rapidement susciter l’intérêt du public dans l’ensemble des villes et bourgades du comté du Worcestershire et inciter H.F.S. Morgan à se lancer dans l’aventure en devenant donc constructeur de tricyclecars (aussi appelés tricars par certains). Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, à l’été 1914, plusieurs milliers d’exemplaires ont déjà été produits. Si Morgan s’est vu contraint de suspendre sa production durant les hostilités, celle-ci reprend aussitôt, une fois la paix revenue.

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Si Darmont souhaite produire sous licence le tricyclecar Morgan à destination du marché français, c’est qu’au lendemain de la guerre, la mode des cyclecars a franchi la Manche pour arriver sur le continent. A l’image du Royaume-Uni, la France a adopté, en juillet 1920, une nouvelle réglementation stipulant que tout engin équipé d’une motorisation dont la cylindrée ne dépasse pas les 1 100 cc ainsi qu’un poids à vide de 350 kg est, dès lors, considéré comme un cyclecar aux yeux de la législation française. Ce qui leur permet de bénéficier ainsi d’une imposition nettement moins importante que les voitures classiques.

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C’est en février 1923 que Robert Darmont présente au Service des Mines la première version de son interprétation du tricyclecar créé par Morgan, le Type C, rentrant dans la catégorie fiscale des véhicules de 8 CV. Assez curieusement, l’exemplaire présenté aux responsables des Mines se présente sous la forme d’un… véhicule utilitaire ! (Darmont l’ayant, paraît-il, réalisé sur les conseils d’un livreur de journaux originaire de Nice. Ce dernier ayant, semble-t-il, vu dans le tricyclecar Morgan produit par Robert Darmont une excellente alternative pour les livraisons quotidiennes des exemplaires du journal dont il avait la charge). La partie arrière étant, en effet, un plateau constitué de planches de bois, dont la charge utile devait, toutefois, se révéler assez limitée ! Celui-ci étant homologué, à peine, moins d’une dizaine de jours plus tard. La partie avant, quant à elle, similaire à celle des premières Morgan, présente une curieuse calandre en forme de « bouclier » ou de « masque d’escrime », avec des fentes d’aérations latérales. Malgré son poids fort réduit, la faible puissance du moteur d’origine MAG ne lui permet guère de dépasser les 60 km/h.

Si le nom de Darmont figure bien sur les carters des moteurs, en réalité, les moteurs qui équipent ses tricyclecars, il n’en est, toutefois, ni le concepteur ni le fabricant. Il est d’ailleurs assez difficile, surtout s’agissant de ses premiers modèles, les origines exactes de ceux-ci. Les fournisseurs (le plus souvent MAG ou JAP) variant, en effet, entre autres, suivant les facilités d’approvisionnement ainsi que les tarifs demandés par ces derniers. (Robert Darmont travaillant à une échelle « semi-artisanale » et ses moyens étant bien éloignés de ceux des constructeurs automobiles classiques, il va sans dire qu’il recherche toujours le prix le plus avantageux pour les lots de moteurs qu’on lui propose).

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DARMONT SPECIAL

Darmont en déclinera deux versions, présentées à la même époque : les Types SG (ou Sporting) et ST (pour Sport), ce dernier, du fait d’un moteur aux cotes différentes, rentrant, toutefois, quant à lui, dans la catégorie des 9 CV fiscaux. Si le premier conserve encore des performances quelque peu limitées, avec une vitesse maximale de 80 km/h, le second, en revanche, peut atteindre, dans des conditions optimales, la barre symbolique des 100 km/h. Le Type ST se différenciant des deux autres modèles produits par Darmont par son carénage en forme de « queue » à l’arrière ainsi que sa mécanique laissée à l’air libre. Ce qui peut, certes, entraîner quelques « complications » en cas de fortes intempéries, mais offre, néanmoins, l’avantage d’offrir une aération optimale à la mécanique. A signaler, à ce sujet, que les brochures et autres affiches publicitaires pour les premiers modèles produits par Darmont ne font, curieusement, pas mention du type de système de refroidissement qui est employé (à air ou eau suivant les modèles).

Outre le fait que Darmont, ainsi que la plupart de ses concurrents qui feront leur apparition sur ce nouveau marché, propose leurs engins à des prix souvent très compétitifs, ce sont aussi les succès en compétition qui assureront aussi leur succès auprès de la clientèle. Paris-Nice, Bol d’Or, Tourist Trophy français, courses de côte du Mont-Ventoux et autres. Les tricyclecars Darmont ne tardent pas, en effet, à engranger les trophées. A noter que Sandford, l’un des pilotes courant, au début des années 1920, sur les modèles produits par Darmont décidera, par la suite, tout comme ce dernier, de franchir le pas en produisant, lui aussi, ses propres tricyclecars, devenant ainsi le principal rival commercial de Robert Darmont. Ce dernier, bien que sa nouvelle activité de constructeur occupant la plus grande partie de son temps, ne dédaigne pas, pour autant, prendre les commandes de l’un des engins qu’il a conçu lors de certaines épreuves.

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DARMONT SPECIAL

A l’image de leurs inspiratrices anglaises, les tricyclecars Darmont peuvent se prévaloir de très bonnes performances, même s’ils les doivent tout autant, sinon plus, à leur légèreté qu’à la puissance, souvent relativement limitée, de leurs motorisations. En tout cas, s’agissant des versions « courantes », car la marque présente, en 1927, le Darmont Spécial, équipé, quant à lui, d’un moteur Blackburne, conçu, en particulier, pour les pilotes amateurs ou semi-professionnels qui souhaitent participer aux épreuves locales et régionales (assez nombreuses dans la France d’avant-guerre) et dont la vitesse de pointe peut atteindre, sans grande difficulté, les 150 km/h, ce qui, à l’époque, en particulier pour un tricyclecar, était une sorte « d’exploit ».

Des performances et donc un potentiel fort important, notamment dans le domaine de la compétition, qui se paie toutefois au prix fort : à son lancement, le modèle Spécial est vendu 13 500 francs, ce qui représente rien moins que le double de celui du modèle Sport (certes, s’agissant de ce dernier, dans sa version la plus basique, dépourvu de pare-brise ainsi que de phares). Même s’il est vrai que, par rapport à une voiture populaire classique, ou même sportive, il représente une alternative intéressante, puisque pour faire l’acquisition d’une Citroën B14 G ou une Amilcar CGSs, il faut débourser deux fois le prix d’un Darmont Spécial ! Afin d’élargir au mieux sa clientèle, Robert Darmont déclinera, par la suite, celui-ci en deux nouvelles séries : Normale et Luxe. Lesquelles, si elles seront proposées à des tarifs plus attractifs, devront, toutefois, s’accommoder d’un équipement et, surtout, de performances assez inférieures à celles de la version originelle. Mais si ces deux évolutions pourront toujours revendiquer une vitesse de pointe assez appréciable, puisqu’affichant, respectivement, 120 et 140 km/h.

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DARMONT ETOILE DE FRANCE

Il reste, cependant, aujourd’hui, parfois assez difficile de connaître, dans le détail et avec une certitude absolue, l’ensemble des évolutions qu’ont connue les différents modèles Darmont, qu’il s’agisse de ceux destinés à la route ou à la course. Certaines archives et autres documents officiels semblent, en effet, avoir disparu, probablement durant la guerre. L’on ne trouve ainsi, nulle trace, dans les archives du Service des Mines, entre 1927 et 1934, de réception pour homologation d’un nouveau modèle, ni même d’une quelconque évolution de l’un des modèles. Alors que ce fut, pourtant, bien le cas. En témoigne la version ayant été baptisée du nom « d’Etoile de France », présentée en 1933 et réalisée sur la base du modèle Normal. Tous deux étant également équipés, comme la plupart des modèles produits par Darmont (à l’exception de la Spécial) du moteur d’origine JAP. La Darmont Normal se distinguant des précédents tricyclecars par sa fausse calandre, dont les deux grandes ouvertures verticales aux extrémités arrondies évoquent la proue des automobiles BMW contemporaines. Il est vendu à peine 6 950 francs, soit à peu près au même prix qu’une moto Terrot 500 cc.

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DARMONT ETOILE DE FRANCE

Les nouveaux modèles ne sont, souvent et sur bien des points, que de simples évolutions du Type C originel, (lequel, pour rappel, n’était, lui-même, qu’une simple évolution du tricyclecar Morgan produit sous licence et qu’ils sont donc réalisés sur une base dont les coûts sont, déjà, largement amortis). Ce qui explique, en grande partie, que la plupart des modèles proposés par Darmont à son catalogue soient affichés à des prix si compétitifs.

Il est vrai qu’en ce début des années 1930, l’ère des cyclecars semble désormais, en partie, révolue, conséquence d’un changement dans les attentes ainsi que le mode de vie de la clientèle ainsi que d’une législation qui n’est plus aussi favorable qu’auparavant. D’où la nécessité de continuer à proposer ses modèles à des tarifs qui soient les plus abordables possible pour parvenir à conserver ainsi sa clientèle.

Il faut mentionner que la grande majorité de celle-ci est issue du milieu de la moto. Ceux qui franchissent le pas et finissent par délaisser (tout au moins, en partie) celles-ci au profit du tricyclecar (Darmont ou autres) le font, souvent, pour trois raisons essentielles. La première étant qu’ils souhaitent un engin (sensiblement) plus confortable et plus « sécurisant » qu’un deux-roues, les tricyclecars offrant, en effet, une véritable banquette à deux places, ainsi qu’une carrosserie (aussi rudimentaire et spartiate soit-elle) leur offrant un minimum de « sécurité » (même si celle-ci est, probablement, assez relative, voire quelque peu « illusoire »).

La seconde étant qu’étant donné que la grande majorité de ces engins utilisent, outre leurs motorisations, des composants mécaniques d’origine moto, offrant ainsi la garantie aux acheteurs d’une Darmont qu’ils retrouveront (tout au moins, en partie) « l’esprit de conduite » qu’ils ont connu au guidon de leurs motos.

La dernière, plus pragmatique, est qu’une part, là aussi, non négligeable, des acheteurs concernés, soit, n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture neuve (le marché de la voiture d’occasion n’étant encore qu’assez marginal et ne se développera véritablement que dans le courant des années 50). Voire encore que leur situation personnelle (celle de célibataire ou d’un couple n’ayant pas encore d’enfant) ne nécessite l’achat d’une automobile. Il est vrai aussi qu’à l’image de certains pratiquants de la moto (à l’époque comme aujourd’hui), une partie des possesseurs de tricyclecars considèrent, avant tout, celui-ci comme un engin de loisirs et ne s’en servent donc, outre les compétitions auxquelles ils participent en amateur, que pour les balades du week-end.

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DARMONT AEROLUX

Pour en revenir aux tricyclecars que Robert Darmont continue de proposer durant cette première moitié des années 1930, ce dernier en dévoile, au printemps 1934, une nouvelle évolution : l’Aérolux. Celui-ci abandonnant la mécanique laissée à l’air libre au profit d’une partie avant entièrement redessinée, donnant l’impression, vue de face, d’avoir à faire à une voiture conventionnelle, bien que la mécanique que l’on retrouve sous son capot est identique à celle des précédents tricyclecars Normal et Etoile. Déjà disponible sur les précédents modèles Spécial, Normal et Etoile, la troisième vitesse sur la transmission est, désormais, de série. Bien que vendu (sensiblement) moins cher que ces derniers (6 250 francs), il est aussi (légèrement) moins rapide : 110 km/h en vitesse de pointe, contre 120 km/h pour les modèles à trois roues. Les options proposées sur l’Aérolux étant la roue arrière à dépose rapide, un tableau de bord entièrement équipé d’une instrumentation d’origine Jaeger (dont un ampèremètre et une montre) ainsi qu’un capot réalisé en aluminium poli.

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DARMONT AEROLUX

Il représentera l’ultime évolution des tricyclecars produits par Darmont, les derniers exemplaires du modèle Etoile de France étant vendus au début de l’année 1935, alors que Robert Darmont présente, en mars de cette année-là, ce qui sera le dernier modèle portant son nom : la V-Junior. Laquelle apporte la confirmation qu’une page s’est tournée, tant pour celui-ci qu’au sein de l’univers des engins sportifs destiné à une clientèle « populaire ». La Darmont V-Junior, si elle reprend la partie avant ainsi que la motorisation de l’Aérolux (même s’il est possible de l’équiper, en option, du moteur culbuté déjà monté sur le Darmont Spécial), n’est, en effet, plus un tricyclecar, mais bien une voiture classique à quatre roues, se présentant sous la forme d’un roadster deux places, dépourvues de portières, semblables aux MG et autres modèles semblables qui fleurissent alors outre-Manche. L’ensemble des composants mécaniques propres à ce modèle (arbre de transmission, pont arrière et différentiel ayant été fourni par la firme Amilcar). Rançon, sans doute, du poids supplémentaire engendré par ceux-ci, ainsi que par cette nouvelle carrosserie, au poids sensiblement plus élevé, l’ultime Darmont atteint tout juste la barre des 100 km/h.

En Angleterre, la firme Morgan, à qui l’on doit l’invention du tricyclecar, s’apprête d’ailleurs, elle aussi, à opérer une révolution, avec la présentation, l’année suivante (1936 donc) de son premier modèle à quatre roues, la 4/4, laquelle, sous une forme (plus ou moins) évoluée… est toujours en production aujourd’hui ! Même si le Three Wheeler, ainsi qu’il est baptisé là-bas, reste toujours en production et ne quittera, finalement, la scène qu’en 1953… Avant que la marque n’en relance la production près de soixante ans plus tard, en 2012 !

Bien que les tricyclecars aient aussi connu leur heure de gloire dans la France de l’entre-deux-guerres, malheureusement pour Robert Darmont ainsi que les autres artisans-constructeurs qui se sont lancés dans cette voie, elle ne fut, toutefois, jamais aussi grande que chez leurs voisins anglais. Il en est aussi de même (hélas, là aussi) s’agissant des voitures de sport populaires. La production de la V-Junior, ainsi que de l’Aérolux, se poursuivra, à une cadence désormais réduite jusqu’en 1939. Le déclenchement du Second conflit mondial y mettra, toutefois, définitivement fin.

Dès les premiers mois du conflit, à l’époque de ce que l’on appelait encore, à ce moment-là, la « drôle de guerre » (même si, comme chacun le sait, celle-ci ne le sera plus très longtemps !), Robert Darmont préfère aller « se mettre au vert » dans le sud de la France. Une précaution qui ne se révélera pas inutile, surtout lorsque débutera l’Occupation allemande, puisqu’il est lui-même de confession juive.

Si, une fois les hostilités terminées, il revient à Courbevoie, en région parisienne, là où il produisait ses tricyclecars et cyclecars, c’est pour découvrir, malheureusement, que ses ateliers ont été bombardés et pillés durant la guerre. Ayant vu son outil de travail réduit à néant, il lui semble donc quasiment impossible d’en reprendre la production. En outre, il ne lui a sans doute pas échappé que le contexte assez difficile des premières années de l’après- guerre ne se prêtait plus guère (c’est le moins que l’on puisse dire!) à la production de ce genre d’engins. Les classes populaires ayant désormais d’autres besoins et, surtout, d’autres priorités que l’acquisition d’une « moto à trois ou quatre roues » pour se balader à la campagne ou faire la course entre copains.

Il décide alors de se retirer près de Saint-Tropez, où il se reconvertira comme exploitant viticole, ainsi que comme vendeur et réparateur de vélos, un domaine où il sera fort actif (avec, notamment, la dépose de plusieurs brevets) jusqu’à son décès, à la fin des années 60.

Philippe ROCHE

Photos Wkimedia Wheelsage

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=yMjyzxkr_hE&ab_channel=PHOTOGRIFFON

Une autre anglaise https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/09/rover-p5-drakkar-anglo-americain/

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