PEUGEOT 302 et 402 – Révolution esthétique à Sochaux.
Dans le paysage automobile français de la première moitié des années 1930, Renault semble avoir érigé le conservatisme technique au rang de vertu cardinale (la marque au losange restera ainsi fidèle, pour prendre un exemple assez illustratif, à la distribution par soupapes latérales jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale). Mais il existe également, au sein des principaux acteurs de l’industrie automobile en France, une autre firme qui pourrait probablement revendiquer le titre de « plus conservateur des constructeurs français » : Peugeot. Est-ce dû (en tout cas, en partie) à ses origines franc-comtoises ? Toujours est-il que, aussi bien s’agissant de ses voitures à vocation populaires ainsi que de ses modèles de haut de gamme (ces derniers ne connaissant, toutefois, qu’une diffusion assez confidentielle, face à une concurrence fort rude et tomberont, assez rapidement, dans l’oubli), tous font preuve d’un très grand conservatisme. Il est vrai que, dans la France des années 1920, la clientèle, quelle appartiennent à la classe ouvrière, à la petite comme à la grande bourgeoisie, n’est guère sensible (et, même, plutôt réfractaire) à l’avant-gardisme, aussi bien sur le plan technique qu’esthétique.
Si les raisons qui, au milieu de la décennie suivante, ont poussé la marque au lion à « faire sa révolution » sont probablement assez diverses, l’une d’entre-elles est probablement commune à celles qui ont amené André Citroën à concevoir et lancer ses célèbres Tractions Avant. Comme ce dernier et avec les effets de la crise économique survenue aux Etats-Unis en 1929 et s’était rapidement propagée à l’Europe, la direction de Sochaux s’est rapidement convaincue que, face aux ravages que subissait le marché automobile, il fallait « sortir du rang » et donc parvenir à se démarquer de la concurrence.
Bien qu’elle ait été commercialisée aux Etats-Unis, c’est-à-dire à des milliers de kilomètres de la France, la présentation de la Chrysler Airflow n’avait pas manqué de marquer les esprits, non seulement, en Amérique, mais aussi en Europe. Si cette dernière sera (malheureusement pour Walter Chrysler) un échec commercial retentissant, du fait d’un style encore trop déroutant pour la grande majorité du public de l’époque, cela n’empêchera pourtant pas un certain nombre de constructeurs de s’en inspirer. Les exemples plus célèbres (et les plus réussis) étant Ford avec la Lincoln Zephyr, ainsi que… Peugeot avec les modèles de la lignée « Fuseau Sochaux », justement ! Ce qui permettra à ces deux dernières de réussir là où l’Airflow de Chrysler avait échoué, outre le fait que le public avait appris à accepter (plus ou moins) ce nouveau style, est qu’à Dearborn comme à Sochaux, les stylistes auront revu leurs dessins et affiné leur coup de crayon. Si elle reprend donc les principaux canons du style « Streamlining » des Airflow et Zephyr, elle s’en différencie toutefois par sa face avant où les phares se trouvent intégrés dans la calandre, tels « les yeux d’un visage derrière un masque d’escrime ».
Bien qu’à un degré moindre que du point de vue esthétique, sur le plan technique, aussi, la nouvelle 402 représente une évolution (à défaut d’une révolution aussi grande qu’avec la Traction de Citroën, présentée l’année précédente) notable chez Peugeot, avec (comme sur cette dernière) l’abandon de la distribution à soupapes latérales au profit des soupapes en tête, lesquelles assurent un meilleur rendement, avec une puissance de 55 chevaux (soit près d’une dizaine en plus que sur la Citroën Traction 11 CV). La nouvelle 402 se veut également très novatrice en ce qui concerne la transmission, puisque lors de son lancement, elle sera proposée avec un système de changement de vitesses entièrement automatique conçu par l’ingénieur Gaston Fleischel. Celui s’avérant, malheureusement, à la fois, trop complexe et trop coûteux (étant, en effet, tarifié pas moins de 6 000 francs de l’époque, soit rien moins qu’un quart du prix de la voiture), celui-ci tombera très vite aux oubliettes. A défaut, la Peugeot 402 se verra équipée de l’excellente boîte électromagnétique, conçue et produite par l’entreprise Cotal, dont le fonctionnement l’apparente, sur bien des points, à une boîte semi-automatique. Dotée de quatre rapports, sa commande s’effectue par une manette installée sur la colonne de direction, derrière le volant (l’inverseur étant, quant à lui, placé au centre de la planche de bord).
Si les carrosseries sont entièrement métalliques, il ne s’agit toutefois pas d’une structure monocoque, puisque les différents modèles de la gamme 402 sont toujours réalisés sur un châssis, celui-ci étant constitué de longerons fermés formant des caissons. A son lancement, la gamme des carrosseries proposées sur la 402 est assez pléthorique, avec, sur la version à empattement « standard », une conduite intérieure à six glaces ainsi qu’une version Commerciale de cette dernière, un coach, un cabriolet, un roadster. Sur le châssis à empattement rallongé sont proposées une conduite intérieure familiale à 8 places, un taux ainsi que le très réussi (mais aussi fort cher) Coupé Transformable Electrique.
Lequel bénéficie (comme son nom l’indique) d’un toit rétractable dont la commande est entièrement électrique. Un concept qui n’est, toutefois, plus vraiment une nouveauté, puisque Peugeot l’avait déjà présenté en 1934, sur les 401 et 601. Un concept que la marque au lion « exhumera », bien des décennies plus tard, à la fin des années 90 et au début des années 2000 pour les versions Coupé-Cabriolet (ou CC en abrégé) des 206 et 307.
S’agissant du reste de la gamme Peugeot, la présentation de la 402, à l’occasion du Salon Automobile de Paris, en octobre 1935, signe la mise à la retraite des 401 et 601 (dont la production a déjà été arrêtée quelques mois plus tôt, à l’été, afin de laisser la place, sur les chaînes d’assemblage de l’usine de Sochaux, à la nouvelle 402). Même si elles sont encore présentes sur le stand de la marque, il ne s’agit, toutefois, pour le constructeur, que d’écouler les stocks. Les autres modèles de l’ancienne génération, les 201 et 301, sont, elles aussi, présentes. S’agissant de cette dernière et étant donné que la 402 est encore seule à représenter la nouvelle génération des modèles Peugeot, il est décider de poursuivre encore quelque temps la production de la 301, qui se voit, toutefois, rebaptisée 201 M (M pour « modernisée »). L’arrivée au sein de la gamme, un an plus tard, lors du Salon de 1936, de la nouvelle 302, signera alors la mise à la retraite, au début de l’année suivante, de celle qui sera la dernière Peugeot à avoir été équipée d’un moteur à soupapes latérales.
Cette dernière se situant (comme l’indique son appellation) un cran en dessous de la 402. En conséquence, elle doit donc se contenter, comme motorisation, d’un bloc de 1 758 cm3 délivrant 43 chevaux, ce qui la range dans la catégorie fiscale des modèles de 10 CV. Si les lignes de la nouvelle 302 reprennent étroitement celles de son aînée, elle est toutefois réalisée sur un châssis plus court et plus étroit que celui de la 402. Sa gamme est, elle aussi, plus réduite, puisqu’elle se limite à la berline et au cabriolet (ce dernier disparaîtra, toutefois, de la gamme dès la fin de l’année 1937).
Début 1937, la gamme de la 402 se réduit assez nettement, avec la disparition du coach ainsi que du cabriolet ainsi que de la version taxi réalisés sur base de la conduite intérieure. Si le coupé transformable subsiste au catalogue, il se voit, néanmoins, contraint d’abandonner son système électrique pour un nouveau dispositif entièrement manuel (d’un maniement, certes, plus fastidieux, mais aussi plus facile dans son entretien). Cette seconde version se reconnaissant à son pare-brise plat (en deux parties sur les premières carrosseries équipant la 402) ainsi que ses vitres de custode (absentes sur la première version). Si les deux premiers n’auront connu qu’une diffusion assez confidentielle (ce qui explique leur suppression du catalogue), la dernière, en revanche, en dépit d’une carrière assez courte, puisqu’elle n’aura duré que deux ans à peine, aura, cependant, été produite à un peu plus de 2 000 exemplaires. Baptisée de l’appellation 402 LT, elle se distingue de la conduite intérieure « civile » par sa cloison et sa vitre de séparation intérieure entre le chauffeur et les passagers, son toit ouvrant, ses pare-chocs renforcés ainsi que la livrée bicolore de sa carrosserie.
Les 402 de l’année-modèle 1938 se reconnaissant à leurs nouvelles jantes Pilote ajourées. Le roadster à trois places (sur son unique banquette avant, ainsi que deux places d’appoint supplémentaires à l’intérieur du compartiment arrière), doté d’un pare-brise rabattable, disparaît du catalogue au cours de ce millésime. Toutefois, une nouvelle version de la Commerciale, réalisée, cette fois, sur le châssis à empattement long et reprenant les portes arrière de la familiale fait son apparition. La 302, de con côté, quittera, elle aussi, la scène, après moins deux ans de carrière au sein du catalogue Peugeot, ce qui ne l’aura, toutefois, pas empêché de trouver largement son public, puisqu’elle aura été produite à un peu plus de 25 000 exemplaires en tout. Le vide qu’elle laissera au sein de la gamme sera, toutefois, rapidement comblé par de nouvelles versions de la 402.
Le bureau d’études travaillant alors, simultanément, sur deux projets pour le renouvellement de la gamme : Celui d’une 402 réalisée sur un châssis à empattement raccourci, mais également doté de voies élargies et avec un moteur dont la cylindrée est portée à 2,1 litres. Ainsi que celui d’une 302 « SS » (pour « Super Sport »?) recevant, quant à elle, des voies plus étroites.
Ces deux projets seront finalement réunis en un seul, pour donner naissance, à l’été 1937, à la 402 Légère. Laquelle reprend le châssis de la 302 (laquelle disparaît du catalogue à l’automne 1938, étant alors remplacée, comme modèle d’entrée de gamme, par la nouvelle 202), mais avec, sous le capot, le quatre cylindres de 11 CV fiscaux de la 402 « standard ». Cette alliance, assez réussie, d’une carrosserie de taille plus réduite et donc plus légère avec la motorisation la plus puissante disponible au catalogue Peugeot donnant naissance (à peu de frais) à un nouveau modèle aux performances assez brillantes pour l’époque. La nouvelle 402 Légère n’affichant, en effet, qu’entre 1 107 et 1 123 kg sur la balance, selon les carrosseries, (méritant ainsi, assez bien, son appellation), ainsi qu’une vitesse de pointe de 120 km/h (et même jusqu’à 130 km/h lorsqu’elle est équipée de la boîte Cotal). Alors que la 402 « normale » n’atteint, elle, surtout dans ses versions les plus lourdes, telle que la conduite intérieure Familiale, atteint jusqu’à 1 459 kg.
La recette sera encore améliorée lors de la présentation de la gamme Peugeot pour l’année-modèle 1939, avec la présentation de la 402 B Légère. Si cette dernière reprend le châssis de sa devancière, cette nouvelle version bénéficie, toutefois, du quatre cylindres de 12 CV fiscaux, d’une cylindrée de 2 142 cm3 et d’une puissance de 63 chevaux. Laquelle reçoit une carrosserie identique à celle de la nouvelle 202, dévoilée à ce même Salon 1938 (qui sera le dernier avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale). Vu sous certains angles, ce modèle « hybride » (au sens originel du terme, c’est-à-dire qui rassemble deux éléments de nature différente ou composé d’éléments de différentes natures) apparaît sensiblement mal proportionné, avec une carrosserie qui semble quelque peu « sous-dimensionnée » par rapport au châssis sur lequel elle est posée. En ce qui concerne les performances, la recette s’avère, toutefois, plus réussie encore que sur la 402 Légère originelle, surtout lorsque le moteur se trouve accouplée à la boîte électromagnétique Cotal surmultipliée (sur le quatrième et dernier rapport, le troisième étant, quant à lui, en prise directe). Malheureusement pour la 402 B Légère, sa carrière sera tout aussi éphémère que celle de sa devancière, puisque sa production prendra fin avec le déclenchement des hostilités.
S’agissant de la 402 « classique », le constructeur, convaincu que cette dernière mériterait, elle aussi, de profiter de meilleures performances, décide, à l’occasion du millésime 1939, de lui faire bénéficier du moteur de 12 CV. Rebaptisée 402 B, celle-ci reçoit alors, dans les différentes versions de la conduite intérieure (réalisée sur le châssis « standard » ou à empattement rallongé) à six glaces, une nouvelle malle bombée à l’arrière, laquelle permet d’augmenter (sensiblement) le volume du coffre. La gamme de carrosseries s’élargit à nouveau, avec la présentation de nouvelles carrosseries à deux portes : un coach sans montant central ainsi qu’un coach découvrable (dépourvu, lui aussi, de montant central, mais avec des vitres arrière et de montants de toit qui, eux, restent fixes). Les carrosseries de ces nouveaux modèles ne sont pas réalisées au sein de l’usine de Sochaux, mais dans les ateliers de La Garenne, dans la banlieue parisienne*.
Lorsque la guerre éclate, au début du mois de septembre 1939, celui-ci cesse alors ses activités. Ce qui mettra fin au projet alors en cours de développement au sein du bureau d’études du constructeur d’équiper les 402 de l’année-modèle 1940 d’un nouveau levier de vitesses placé derrière le volant (et non plus au plancher) ainsi que de nouveaux freins hydrauliques. Des perfectionnements techniques dont la Peugeot 402, du fait de la guerre, ne bénéficiera, finalement, jamais, malheureusement pour elle.
Si la production de la 402 se poursuit durant le début des hostilités, la gamme se voit donc réduite aux seules versions considérées comme « essentielles », à savoir les berlines et conduites intérieures. Une production qui se poursuivra encore, durant quelque temps, la défaite de la France et l’armistice que celle-ci se voit contrainte de signer avec l’Allemagne. A l’image de la grande majorité du territoire français, l’usine de Sochaux se voit, elle aussi, occupée et placée sous la tutelle des autorités d’occupation allemande. Lesquelles obligent rapidement les responsables de l’usine à donner la priorité à la production des poids lourds nécessaires aux besoins de guerre. La production des dernières 402 va donc se réduire fortement au fil du temps, avant de cesser définitivement à la fin de 1941 ou au début de l’année 1942.
Parmi tous les grands constructeurs français, Peugeot fut sans doute, à bien des égards, celui dont les installations ont le plus souffert de la guerre et de l’occupation. C’est pourquoi, à la Libération, la direction de Peugeot décidera de ne reprendre que la production du modèle d’entrée de gamme d’avant-guerre, la 202. Ceci, le temps que le bureau d’études achève le développement de celle qui sera la première Peugeot de l’après-guerre : la 203.
Philippe ROCHE
Photos WIKIMEDIA
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=LOT9fDi6GZ0&ab_channel=EssaisLibres
Une autre lionne https://www.retropassionautomobiles.fr/2024/10/peugeot-601-la-lionne-infortunee/