Maserati Ghibli SS de 1971 et Bora de 1973, GT italiennes, des voitures à vivre ?
À côté des autos de course dont les palmarès laissent pantois, Maserati met sur la route de vraies GT. Celles de Jean-Luc sont de la même famille mais, avec un moteur avant pour la Ghibli et un central pour la Bora, elles sont bien sœurs mais pas jumelles. Jean-Luc raconte sa façon de vivre la marque au trident.
Alfieri Maserati vient de parrainer l’Avignon Motor Festival qui réunissait une cinquantaine de modèles historiques. À la question « Quelles sont celles que vous préférez ? Il répond, du tac au tac, les voitures de course ! » Cependant, Maserati est sans doute bien mieux connu du grand public pour ses GT. Rien d’étonnant à cela car le constructeur est de ceux qui ont donné naissance à la notion de grand tourisme. Dès la fin de la guerre, en 1946, Maserati met l’A6 sur la route, une berlinette habillée par Pinin Farina. Ce sera la première d’une famille non destinée à la compétition qui va s’étoffer dans la première moitié des années cinquante et constituer le cahier des charges des « grand tourisme » à venir. La Ghibli et la Bora en sont de parfaits exemples dans la mesure où il s’agit plus de voitures de grand tourisme à hautes performances que de véritables voitures de sport, surtout en ce qui concerne la Ghibli. C’est en tout cas l’avis de Jean-Luc qui sait de quoi il parle. Gentleman driver à ses heures, son expérience de la vie quand on a des Maserati à la maison remonte à 1982. « Ça aurait pu être une autre marque. Mais en ce qui concerne Maserati cela a été un concours de circonstances. J’ai acheté la Mistral en 1982. Ensuite, de fil en aiguille, on se prépare intellectuellement à tout connaître sur la marque. On se documente, on achète des livres, on parle, on rencontre, on échange. Voilà ce qui m’a amené à en rechercher d’autres. Cela étant, je ne m’intéresse pas qu’au haut de gamme. D’ailleurs, en 1982, la Mistral n’avait que seize ans. J’exagère un peu, mais on pouvait encore la considérer comme une voiture d’occasion ! J’aime les voitures des années soixante et soixante-dix, mais aussi les Mercedes des années cinquante. J’ai toujours ma Mistral, mais aujourd’hui, c’est celle que j’utilise le moins. Avec les autres, je roule régulièrement et toujours l’esprit tranquille. On fait de belles ballades, comme par exemple les cols alpins au départ de la région parisienne, avec la Ghibli. Nous sommes partis à quatre Ghibli et on est passés par la bonnette, l’Iseran et les autres sans le moindre problème. Cette Ghibli, je l’ai depuis 2001. Elle avait été restaurée auparavant, en 1992 ou 1993, en Italie chez Campana, à Modène. Le moteur avait été confié à Candini. C’était le must à l’époque et le travail a été bien fait. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais eu de soucis depuis. La Bora vient de chez Thépenier.
Chronos d’époque
Comme je le disais tout à l’heure, la Ghibli et la Bora sont davantage des GT que de véritables voitures de sport. Mais les vitesses réelles dont elles sont capables sont néanmoins très élevées. 255 / 260 km/h pour la Ghibli et 270 km/h pour la Bora, comme on peut le relever dans les essais de la presse de l’époque. À titre d’exemple, la revue américaine Car and Driver de septembre 1968 avait confié au pilote John Fitch (membre de l’écurie Mercedes dans les années cinquante – Le Mans, Nürburgring, Pan americana…) quatre voitures sur le circuit de Lime Rock. Une Aston Martin DBS (6 cylindres 325 bhp), une Ferrari 275 GTB 4 (300 bhp), une Lamborghini 400 GT (320 bhp) et une Maserati Ghibli (330 bhp). Les temps au tour sont de 1’18’’ pour l’Aston Martin, 1’12,3’’pour la Ferrari, 1’14,4’’ pour la Lamborghini et 1’14,3’’ pour la Maserati. Ce qui donne le second temps pour la Maserati, alors qu’elle est la plus lourde. Le pont arrière était bien celui monté en France. Il est précisé dans l’article qu’à la limite de la zone rouge, l’auto avait été chronométrée à 230 km/h.
La Ghibli tire un peu plus court que la Bora. À 230 km/h, je suis à 5 500 tours, tandis qu’avec la Bora je ne suis qu’à 5 000. Cette différence s’explique peut-être par la recherche de la meilleure adaptation possible aux routes de l’époque.
Chez Maserati, l’axe confort n’a jamais été oublié. Qu’est-ce qu’on est bien dans la Ghibli ! C’est cet objectif de confort poursuivi par le constructeur qui explique des options comme la direction assistée, la boîte automatique ou l’air conditionné. Cela étant, si la direction assistée est un vrai plus sur la Ghibli, la boîte automatique – comme sur celle de Claude François – est un vrai moins.
Liquide vert
La Ghibli et la Bora ont été dessinées toutes les deux par le même designer. C’est de Giorgetto Giugiaro dont il s’agit, sans doute le plus prolifique de sa génération, mais aussi l’un des plus talentueux. Giugiaro a dessiné la Ghibli quand il était chez Ghia, qu’il intègre fin 1965 en quittant Bertone, quant à la Bora, il la signera chez lui, dans la société qu’il crée en 1968, Italdesign. On reconnaît sa patte dans chacune des deux autos, mais leur morphologie est très différente. La Bora est en effet la première Maserati de route à moteur central. Les deux ont presque le même moteur V8 à deux arbres à cames en tête par rangée de cylindres. 4,9 litres pour la Ghibli et 4,7 litres pour la Bora. Les boîtes de vitesses sont les excellentes ZF, les mêmes que sur les Pantera et les GT 40.
La Bora dissimule sous le capot un bidon de liquide vert (LHM) qu’elle tient du mariage de Maserati et de Citroën en 1968. Le système hydraulique de Citroën lui est en partie appliqué en ce qui concerne l’assistance des freins, le réglage du pédalier et du siège du conducteur, ainsi que la commande de bascule des phares.
Des poncifs à défoncer
« Il est faux de dire que le budget d’entretien d’une Maserati est supérieur au budget d’achat. Ma remarque s’applique de la même façon à une autre marque que je connais bien. L’adage « Départ en Lambo, retour en vélo » est une bonne blague. Une auto en très bon état d’origine, qui a reçu une maintenance conforme aux préconisations du constructeur, ou qui a été restaurée dans les règles de l’art sera fiable. Une fois réglée, je me demande pourquoi elle se dérèglerait. J’ai des exemples précis. Pour ce genre de voiture, il y a un principe de base qui est par ailleurs applicable à la plupart des autos. Si vous achetez une Maserati qui n’a pas un historique limpide ou qui n’a pas reçu la maintenance adéquate, vous aurez des problèmes. Si vous vous présentez chez un spécialiste pour des réglages, celui-ci prendra les compressions et s’il décèle quelque chose de suspect, il refusera de se lancer dans des bricolages qui n’auront pas de résultats. Cela fera perdre du temps au professionnel et au client. Il faut donc mettre le prix au moment de l’achat. Faire l’économie de quelques milliers d’euros ne sera pas un bon plan.
Combien ça coûte ?
La réfection d’un moteur de ce gabarit par un spécialiste revient, à peu de chose près, au prix d’une belle Porsche d’occasion récente. D’où l’importance d’acquérir du premier coup une auto saine et bien entretenue. Le V8 Maserati est un moteur solide et bien conçu. Dérivé des moteurs de course, il est capable de naviguer en zone rouge sans dommages, pourvu qu’il soit en parfait état. Si c’est le cas, l’entretien ne sera pas un problème de portefeuille. Je parle d’expérience, l’entretien sur un moteur V8 Maserati refait comme il se doit sera le suivant :
– une vidange tous les 10 000 km ou une fois par an si vous y tenez. Considérant la qualité des huiles d’aujourd’hui, c’est largement suffisant. Mais attention, il est aussi vital de toujours respecter le temps de chauffage. Il ne faut jamais tirer sur le moteur avant que la température d’huile n’ait atteint au minimum 60 °C. Ne soyez pas trop pressés de monter dans les tours car il y a une dizaine de litres d’huile dans le carter de la Bora et dans le circuit de la Ghibli qui à un système de lubrification à carter sec.
– vérification des tensions des chaînes de distribution tous les 15 000 km.
– réglage de l’allumage et de la carburation tous les 20 000 km, pour autant que cela soit nécessaire. Aussi bien sur la Ghibli que la Bora, le ralenti ne se dérègle jamais. Pourtant il y a quatre double corps. Je ne mets jamais le starter pour les départs à froid. Au plus deux ou trois pression sur la pédale d’accélérateur.
– vidange du circuit de refroidissement tous les deux ou trois ans, avec un liquide de qualité. Ces voitures ne chauffent jamais. Avec un radiateur et un moteur en bon état, la température de fonctionnement se situe entre 75 et 80 °C pour la Ghibli et entre 85 et 90 °C pour la Bora. La différence tient sans doute à la configuration du circuit de refroidissement de la Bora qui, avec son moteur central, a un refroidissement plus compliqué à mettre en œuvre.
Outre les consommables habituels comme les plaquettes de freins et les divers filtres, il reste encore les pneus qui demeurent un poste élevé. Les meilleurs, mais aussi les plus chers, sont sans conteste les Michelin XWX.
Je n’ai pas en tête les coûts d’entretien exacts, mais vous voyez que cela ne peut pas être prohibitif. » Jean qui est là, confirme qu’il a dépensé environ 5000 € d’entretien pour sa Khamsin en quatorze ans. « Sans mentir, pour ma Mistral ça doit être quelque chose comme 10 000 € en trente ans. Mais, au risque d’insister, vous avez devant vous des autos irréprochables ou presque, car elles sont souvent sur la route et ont quelques défauts d’aspect. Mais il n’y a pas que la maintenance qui est cruciale. Le stockage aussi a son importance. La règle est d’éviter absolument les milieux humides. La pose d’un coupe-batterie est bien utile. Il est complètement inutile de démarrer le moteur une fois par semaine par exemple. En revanche, une vraie sortie, au minimum tous les deux mois, en faisant au moins soixante kilomètres histoire de tout mettre en température et chasser les condensations est indispensable. »
En ce moment, la réalité du marché est bien loin des chiffres indiqués par les cotes. Une très belle Ghibli dépasse aujourd’hui les 150 000 €, voire un peu plus si c’est une SS, et une belle Bora atteint sans problème les 100 000 €. Maserati n’est pas la seule marque au sein de laquelle les classiques valent plus cher que les neuves.
Par Philippe Gutiérrez, photos Xavier de Nombel
Plus de Maserati ici https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/04/maserati-indy-la-der-des-ders/ et ici https://www.retropassionautomobiles.fr/2019/10/maserati-granturismo-70-ans-de-sport-et-de-luxe/