Porsche 914 – Le cheval allemand mal-aimé
À la fin des années 60, la Porsche 911 est déjà devenue, en quelques années une icône de l’automobile sportive. Ferry Porsche, le fils de Ferdinand, le fondateur de la marque, disparu en 1951, peut légitimement en être fier. Néanmoins, elle est loin d’être un best-seller. Évidemment, comme sa devancière, l’illustre 356, elle n’a pas vraiment vocation à être un coupé « populaire », qui se vendrait comme des petits pains à l’image de la Volkswagen Coccinelle. Il n’empêche que les comptables de la firme au cheval cabré – celui de Stuttgart, pas de Maranello ! – font quelque peu la grimace en faisant les comptes. Il est vrai que, comme toute vraie voiture de sport, la belle 911 demande un chèque relativement salé, pour pouvoir s’offrir le privilège de repartir à son volant, de profiter au quotidien de ses performances sur les belles nationales et autoroutes allemandes.
Le constat fait par le bureau d’études comme par la direction est que la marque a besoin d’un modèle à vocation plus populaire, c’est-à-dire moins puissant et moins rapide mais aussi moins cher à l’achat, et moins coûteux également à l’entretien de sa mécanique. En ce sens, une première tentative a déjà été faite avec la Porsche 912, qui n’est, tout simplement, qu’une caisse de 911 recevant, à la place du six cylindres à plat de cette dernière, le quatre cylindres (lui aussi avec les cylindres positionnés à l’horizontale) de l’ancienne Porsche 356 (affichant une cylindrée de 1 582 cc et une puissance de 90 chevaux). Mais Porsche veut pousser plus loin le concept d’un coupé à vocation « populaire » et passer à la vitesse supérieure avec un modèle plus ambitieux et plus démocratique encore. Il n’est, dès lors, plus question de se contenter de recourir à une « solution de facilité » comme avec la 912 et de se contenter d’une 911 dotée d’un « petit » quatre cylindres à la place d’un « gros » flat-six placé en porte-à-faux à l’arrière mais bien de concevoir un modèle entièrement spécifique.
Porsche 914 – Le cheval allemand mal-aimé : L’association Volkswagen et Porsche
Les intérêts et la volonté de Porsche d’élargir sa gamme vers le bas va alors rencontrer ceux du premier constructeur allemand, Volkswagen, qui, pour sa part, réfléchit à donner une descendance à la seconde génération du coupé Karmann-Ghia (le Type 34). Plutôt que de se lancer dans une concurrence stérile, en lançant chacune de leur côté des modèles qui joueraient dans la même cour et se feraient alors – inévitablement – concurrence, Volkswagen et Porsche jugent donc beaucoup plus profitable d’unir leurs efforts ; ils créent alors une entité commune (la Porsche Vertiebsgesellschaft dans la langue de Goethe, ou Société de Distribution Porsche-VW) aux deux marques, destinée à finaliser l’étude et la mise en production de la future VW-Porsche. Bien que les objectifs visés par les firmes de Stuttgart et de Wolfsburg diffèrent sensiblement sur certains points, les directions et les bureaux d’études des deux constructeurs s’accordent en tout cas rapidement sur un point essentiel : celui de conserver l’architecture à moteur arrière. Avec une différence majeure, toutefois, il n’est désormais plus placé en porte-à-faux mais en position centrale, avec la mécanique placée en avant du train arrière. Un choix probablement influencé par l’expérience acquise par Porsche en compétition, qui présente le grand avantage de diminuer fortement l’inertie dans les virages, d’améliorer également la répartition des masses et enfin favoriser la motricité. Cette nouvelle « sportive populaire » aura comme inconvénient de n’offrir, en revanche, que deux places, comme la plupart des voitures à moteur central arrière. Cependant, il est vrai que sur la Porsche 911, les deux places arrière ne peuvent guère servir qu’à des enfants en bas âge. Le programme prévoit, dès le départ, de confier l’assemblage des carrosseries au carrossier Karmann, qui travaille d’ailleurs déjà pour les deux constructeurs puisqu’il assure celui de la 912 et de la Karmann-Ghia.
C’est à l’occasion du Salon automobile de Francfort, en septembre 1969, que le fruit de ce partenariat entre Volkswagen et Porsche est dévoilé. Aux yeux de la presse, comme du public, cette union paraît à l’époque assez inattendue, pour ne pas dire incongrue, contre-nature. L’un des points-clés du cahier des charges est que sa ligne ne doit ressembler ni à une Porsche ni à une Volkswagen. Sur ce plan, la voiture remplit parfaitement sa mission. Son style très anguleux, qui annonce celui de nombre de voitures sportives – populaires comme de prestige – des années 70 ainsi que du début des années 80, avec son capot plongeant et ses phares rétractables ainsi que son profil presque entièrement symétrique est, en effet, en rupture profonde avec celui de tous les autres modèles – sportifs ou non – produits à Stuttgart comme à Wolfsburg.
Sous son capot (arrière), on retrouve, au choix, soit un quatre ou un six cylindres, tous deux à plat. L’un des autres points importants du programme étant, d’emblée, qu’elle soit motorisée, dans sa version d’entrée de gamme, avec un moteur Volkswagen et, dans sa version « sportive », par une mécanique d’origine Porsche. La première est bien connue des propriétaires de VW, puisqu’il s’agit du 1,7 l (1 679 cc, très exactement), alimenté par une injection Bosch D-Jetronic, de 80 ch que l’on retrouve sous le capot de la Volkswagen Type 411 E – l’un des deux modèles, avec la 412, représentant l’ultime avatar de la lignée des Volkswagen à moteur arrière. La version « haut de gamme » à six cylindres, qui sera commercialisée en février de l’année suivante, reçoit, de son côté, le moteur 2 litres de 110 ch emprunté à la 911. Cette dernière remplace directement la 912 au sein de la gamme Porsche, la firme de Stuttgart ne proposant désormais plus, à partir de 1970, que des modèles à moteurs six cylindres à son catalogue. En ce qui concerne sa transmission, la Porsche 914 reçoit, dans ses deux motorisations, la boîte à cinq vitesses que l’on retrouve également sur les premières 911.
Porsche 914 – Le cheval allemand mal-aimé
Pour ce qui est de l’ambiance intérieure, les amateurs de Porsche ne sont guère dépaysés, avec un tableau de bord qui conserve le style et l’agencement propre à la Porsche 911 : le compte-tours placé en position centrale, notamment, bien en évidence devant les yeux du conducteur, ainsi qu’une austérité toute « germanique », avec plastiques noirs quasiment du sol au plafond. Une exception néanmoins chez Porsche : la clé de contact se trouve placée, ici, sur le côté droit de la colonne de direction. L’ambiance plutôt spartiate de l’habitacle étant sans doute voulue pour renforcer le caractère et la vocation sportive de la 914, tout comme la console centrale qui regroupe trois des manomètres des instruments de bord, disposés à la verticale. Sportive populaire ou pas, beaucoup, tant au sein de la presse que des acheteurs, jugeront toutefois un peu « mesquin » certains détails de l’aménagement intérieur, comme le fait que le conducteur et le passager doivent se contenter d’un seul vide-poche (bien que de grande taille) ainsi qu’une unique poignée-accoudoir. Les deux sièges de style baquets, avec appui-têtes intégrés, (alors à la mode et que l’on retrouvait dans beaucoup d’autres sportives de l’époque, à l’exemple de la Lotus Europa) renforcent le côté sportif du modèle.
Des distributions commerciales diversifiées selon les marchés
Présentée dès le départ par les deux constructeurs comme un projet commun – et pour cause – et comme étant autant une Porsche qu’une Volkswagen (ou inversement), elle sera d’ailleurs vendue en tant que « Volkswagen-Porsche » par Sonauto, qui assure alors l’importation des modèles de Stuttgart dans l’hexagone. Outre-Atlantique, les deux modèles (914-4 et 914-6) seront distribuées sous le seul nom de Porsche, les représentants de la filiale américaine ayant décliner la proposition de prendre également en charge la distribution du modèle – en tout cas dans sa version quatre cylindres équipée du moteur Volkswagen – étant que ces derniers tenaient à conserver l’image de voitures populaires et bon marché attachée, dans l’esprit de la clientèle américaine, aux modèles de Wolfsburg risquait de desservir la carrière de la voiture aux États-Unis. Afin de garantir une diffusion et un service après-vente optimal sur l’ensemble du territoire américain, les concessionnaires du réseau Audi sont aussi mis à contribution, d’autant que la marque aux quatre anneaux y a déjà une image assez « prestigieuse » (plus que VW en tout cas). Son standing est, de toute façon, bien plus proche de celui de Porsche. Le marché américain sera d’ailleurs celui où la 914 connaîtra le plus de succès.
En Europe en revanche, le succès sera, en revanche, beaucoup plus mitigé, justement – en grande partie – à cause de cette double identité. L’objectif visée par les deux constructeurs en lançant la 914 était de faire profiter à Volkswagen l’image de sport et de compétition liée à Porsche. Malheureusement pour la firme de Wolfsburg comme pour celle de Stuttgart, une grande partie de la clientèle traditionnelle de Porsche regarde ce nouveau modèle d’entrée de gamme avec une certaine méfiance, parfois même avec un mépris à peine voilé. Beaucoup la considère comme un modèle « bâtard », surtout dans sa version à moteur VW. Même la version équipée du flat-six de la 911 ne trouvera pas grâce à leurs yeux, notamment à cause de sa ligne trop éloignée de « l’esprit » Porsche. Malgré ce statut, peu enviable, de « vilain petit canard », la 914-6 va pourtant parvenir à faire de l’ombre à la 911 (en tout cas en version T, celle à qui la 914-6 emprunte justement sa motorisation), ceci, du fait de ses performances ainsi que d’un prix de vente trop proches de celui de sa grande sœur. Cette concurrence interne, inattendue mais bien réelle, va finalement décider la direction de Porsche à cesser la production de la 914 six cylindres Elle est supprimée du catalogue à la fin de l’été 1972, après seulement deux ans de carrière et moins de 3 500 exemplaires produits.
Contrairement à cette dernière, la 914 à quatre cylindres (comme mentionné plus haut) connaîtra un succès fort enviable, en tout cas aux USA. Conscient que, même si la clientèle plébiscite donc bien plus la 914 à moteur Volkswagen, celle-ci en vient rapidement à réclamer un peu plus de puissance que les 80 ch de la version 1.7 l d’origine, cette dernière se voit alors épauler par une version plus puissante, dont le quatre cylindres voit sa cylindrée portée à deux litres (1 971 cc, pour être exact) et dont les culasses (conduits, arbre à cames et soupapes) ont été revues et optimisées par les ingénieurs de Stuttgart, ce qui porte sa puissance de 80 à 100 chevaux (tout ronds), ce qui permet de maintenir les performances presque au même niveau que la 914-6, avec toutefois un prix de vente plus attractif. La sonorité de cette nouvelle version, plus ronde et plus rauque que sur la 914 1.7 l parvenant même à faire oublier qu’il s’agit d’un moteur d’origine Volkswagen.
Les normes anti-pollution imposées par la nouvelle législation américaine (toujours plus draconiennes) vont avoir une influence sur la 914 (les États-Unis restant un marché prioritaire, pour Volkswagen comme pour Porsche) et obliger les deux constructeurs à faire évoluer le modèle, ainsi que ses motorisations. À partir de 1973, sur le marché européen, une nouvelle version 1,8 l à carburateurs, de 85 ch, vient remplacer le 1,7 l en entrée de gamme – avec, cependant, des performances inchangées. Si elle est aussi vendue aux USA, sur le marché américain, l’alimentation fait appel à une injection Bosch L-Jetronic ainsi que du montage en série d’un pot catalytique (toujours à cause des normes anti-pollution en vigueur là-bas) ce qui pénalise la puissance et fait baisser celle-ci à 76 ch (puis à seulement 70 ch en 1974). La version deux litres y est logée à la même enseigne et, à partir de 1973, n’offre plus que 95 ch (en raison d’un rapport volumétrique réduit), une puissance qui baisse encore à 88 ch lorsqu’elle se voit elle aussi obligée d’adopter un catalyseur.
C’est en 1975 que la 914 connaîtra son premier – et aussi unique – lifting. Les deux constructeurs ayant décidé, dans un souci de rationalisation, de monter sur les voitures vendues en Europe les mêmes pare-chocs protubérants en plastique noir qui équipent déjà les versions américaines. Même s’ils s’avèrent moins élégants que ceux en chrome qui équipaient les anciennes versions, ils s’intègrent toutefois assez bien au design de la voiture et n’altèrent pas trop ses lignes – ce qui ne sera, hélas, pas le cas de nombreux autres modèles européens vendus aux USA, la dernière version de la MG B en étant l’un des plus célèbres, et aussi tristes, exemples. Les exemplaires vendus sur le territoire américain se reconnaissant, quant à eux, aux phares additionnels, logés dans le pare-choc avant, qui deviennent de forme rectangulaire (circulaire sur les voitures vendues en Europe). Les dernières 914 seront d’ailleurs réservées au marché US, qui aura d’ailleurs absorbé, au total, les trois quarts de la production.
Les Porsche 914 Limited Edition
Durant ses six années de carrière, la (VW-)Porsche 914, contrairement à la 911 ou bien sa remplaçante, n’a eu que très peu de versions spéciales. La plus connue est la série limitée « GT Jubilee », présentée en 1974, à l’occasion de la production de la 100 000ème 914 produite depuis le lancement du modèle, réservée au marché allemand. De l’autre côté de l’Atlantique, les acheteurs américains se verront proposés une « Limited Edition » (une appellation dont il faut avouer qu’elle n’est guère imaginative !) qui sera proposée, soit avec une carrosserie traitée en blanc et rouge, baptisée « Creamsicle », soit en jaune et noire, « Bumblebee ». Elle se distingue également des 914 « classiques » par un spoiler à l’avant, la suppression du vinyle sur l’arceau ainsi que des bandes latérales, avec le nom de Porsche, apposées sur les bas de caisse. Une édition limitée créée en hommage aux victoires remportées par Porsche, avec la 917, dans le championnat Can Am l’année précédente et produite à environ 1 000 exemplaires.
Ce sera à la fois la première, mais aussi la dernière vraie modification esthétique que connaîtra la 914. En effet, elle quitte la scène l’année suivante, cédant alors sa place à la Porsche 924, qui sera, elle aussi, le fruit d’un partenariat entre Volkswagen et Porsche, ou plus précisément entre Audi (racheté par le constructeur de Wolfsburg en 1965). Cette dernière reprendra d’ailleurs également le concept de la 914 : proposer une Porsche à vocation « populaire », en tout cas plus accessible à l’achat, plus facile d’entretien et d’une conduite moins « virile » que la 911. Elle introduit également une vocation « familiale », avec ses deux places supplémentaires à l’arrière, qui a toujours été absente chez sa devancière, abandonnant ainsi l’architecture à moteur central arrière pour celle plus classique du type « transaxle » (moteur à l’avant et boîte de vitesse à l’arrière, comme sur les Alfa Romeo). Autre point important qui la distingue de sa devancière : la nouvelle 924 abandonne le système de refroidissement par air pour celui – là aussi plus classique – du refroidissement par eau. La 911 demeurant, quant à elle, fidèle au système analogue à celui de la 914 jusque dans les années 1990.
La production s’établit à un peu de 118 600 voitures sorties de chaîne (toutes versions confondues) pour la 914-4 (avec la version originelle à moteur 1,7 l, avec 65 350 exemplaires), auxquels il faut évidemment rajouter les 3 300 exemplaires de la 914-6.
Cette étiquette de « vilain petit canard », de « bâtard de la famille », de « Porsche du pauvre » ou encore, tout simplement, de « fausse Porsche », que lui ont infligé un grand nombre de Porschistes (et autres) soi-disant « puristes » – et surtout, à l’esprit fort sectaire, qui ne jugeraient que par la 911. Ces qualificatifs lui colleront pendant très longtemps à la peau – ou, plutôt, à la tôle – bien après la fin de sa production. Depuis plusieurs années maintenant, la 914 a – enfin – terminée sa traversée du désert et est enfin réhabilitée par les collectionneurs ainsi que par ceux-là mêmes qui s’étaient pourtant plu, pendant plusieurs décennies, à la vouer aux gémonies ! Outre ses lignes dont le style est à l’opposé de celles de sa glorieuse aînée, ses performances (surtout dans les premières versions à moteurs 1,7 l et 1,8 l) sont – presque – à cent lieux de celles de la 911, tout comme ses sensations de conduite, la 914 invitant et s’appréciant beaucoup plus en mode « cool », les cheveux au vent, avec le toit targa démonté afin de mieux pouvoir profiter du soleil à la belle saison, que le couteau entre les dents.
Texte Juan Moreno
Photos DR
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