RENAULT FREGATE – LES AMBITIONS DECUES DE LA REGIE
Dans les premières années de la Régie Nationale des Usines Renault, créée en 1945 après la mort de Louis Renault et la nationalisation de l’entreprise par le Général De Gaulle, la politique commerciale de la marque en ce qui concerne la gamme des voitures de tourisme est celle de la monoculture 4 CV.
Pierre Lefaucheux, le PDG nommé par le Gouvernement français, décide cependant de mettre bientôt en chantier l’étude d’un nouveau modèle plus vaste et plus puissant, qui doit pouvoir concurrencer les Citroën Traction 11 CV ainsi que la future Peugeot 203.
Lorsqu’il demande au bureau d’études de commencer l’étude du projet, à la fin de l’année 1947, un point essentiel figure dès le départ dans le cahier des charges, à savoir la date à laquelle le modèle de série devra être présentée aux représentants de la presse automobile. Celle-ci a été programmé par le patron de la Régie en octobre 1951, à l’occasion de l’ouverture du Salon de l’auto.
Le projet initial des ingénieurs, menés par Ferdinand Picard et des stylistes du bureau d’études consiste en une version « agrandie » de la 4 CV, avec une ligne similaire bien que plus enveloppante et dotée de la même implantation mécanique, à savoir un moteur placé en porte-à-faux à l’arrière. Par ses lignes comme par son implantation mécanique, le prototype 108 a sans-doute été aussi fortement inspiré par l’exemple des limousines Tatra produites à l’époque en Tchécoslovaquie. Toutefois, le service commercial tout comme la direction de la marque, estime que la ligne est trop déroutante pour convaincre la plupart des automobilistes français de l’époque. En plus de cela, outre une visibilité arrière médiocre, due à l’implantation du moteur à l’arrière qui a imposé une lunette arrière de taille assez réduite, cette architecture mécanique pose plus de problèmes sur une berline de cette taille que sur une petite voiture citadine comme la 4 CV, notamment des soucis récurrents de surchauffe. Tant et si bien que ce projet est définitivement abandonné en novembre 1949.
On décide alors d’en revenir à une solution beaucoup plus classique et aussi plus fiable, celle du moteur avant et de la transmission aux roues arrière. Cette nouvelle étude se poursuit à un rythme normal. Malgré le chambardement, tant au sein du bureau d’études qu’au sein du service commercial de l’entreprise, Pierre Lefaucheux a prévenu, d’emblée, que la date prévue pour le lancement ne sera pas reculée et qu’elle est donc toujours prévue pour le mois d’octobre 1951. Ce qui oblige donc Fernand Picard et son équipe à mettre les bouchées doubles afin de faire en sorte que le modèle soit fait prêt à ce moment-là. Ce qui n’est pourtant pas du tout gagner, car ces derniers ont déjà « perdus » deux ans dans l’étude du prototype à moteur arrière et doivent alors, subitement, repartir d’une feuille blanche ou quasiment. Moins d’un an après ce bouleversement se produit un événement qui, bien qu’il se déroule à l’autre bout du monde et qu’il n’ait pourtant strictement rien à voir avec ce qui passe au sein de l’univers de l’automobile, va pourtant avoir un effet, indirect et inattendu, mais pourtant bien réel et assez profond sur la gestation du projet de la future Frégate. A la fin du mois d’octobre 1950, au cours d’une rencontre avec le ministre de la Défense, Jules Moch, le patron de Renault apprend que, étant donné l’aggravation de la situation en Corée, ainsi qu’en Indochine, le gouvernement va sans doute bientôt devoir prendre des mesures draconiennes, lesquelles, si elles étaient adoptées, seraient mises en application à compter du début de l’année suivante. Parmi les mesures en question figurant notamment la mise en sommeil, pour toutes les entreprises appartenant à l’Etat ou dans lesquelles celui-ci possède une partie du capital, de tous les projets en cours. Ce qui aboutirait donc pour Renault à l’interdiction du lancement de tout nouveau modèle. Or, le projet de la Frégate étant d’une grande importance pour l’avenir de Renault et son développement au sein du marché automobile français, Pierre Lefaucheux décide, pour échapper à cette menace éventuelle, de faire accélérer la mise au point de cette dernière afin qu’elle puisse être présenter avant la date fatidique émise par le Gouvernement (début janvier 1951). Ceci, en dépit de tout le chambardement, de la précipitation et de la panique que cela va engendrer au sein du bureau d’études, ainsi que du Service des essais, des chaînes de montage de l’usine de Billancourt et sans compter, non plus, les multiples et importantes répercussions que cela va, inévitablement, avoir chez les sous-traitants qui doivent fournir tous les accessoires de la nouvelle Renault.
Lorsque la nouvelle berline haut de gamme de la Régie Renault, baptisée du nom de Frégate, est ainsi dévoilé, au Palais de Chaillot, en novembre 1950, elle n’existe, en tout et pour tout, à ce moment-là, qu’en un seul et unique exemplaire, celui que les journalistes ont sous les yeux. Durant l’année suivante, plusieurs prototypes sont confiés à des clients qui ont accepté de jouer les essayeurs au service de la marque. A peine le nouveau modèle a-t-il été dévoilée à la presse et au public que, durant plusieurs mois, plus aucune information ne filtre de Billancourt. Ce qui va, assez logiquement, éveiller l’attention ainsi que les suspicions de la presse automobile, qui commence bientôt, à travers ses publications, à faire courir des rumeurs plutôt alarmantes, encore envenimées par la concurrence, inquiète et railleuse à la fois face à l’attitude des responsables de la Régie, qui jouent alors « la grande muette ». Pourtant, chez Renault, les ingénieurs ne chôment pas, loin de là et doivent même souvent faire des heures supplémentaires pour faire en sorte de terminer la mise au point de la Frégate et que les premiers exemplaires de série puissent être livrés aux concessionnaires et aux clients le plus rapidement possible. La commercialisation effective de la Frégate étant prévue à l’occasion du Salon de l’automobile de Paris en octobre 1951. En février 1951, neuf prototypes sortent des ateliers du bureau d’études et, trois mois plus tard, une trentaine de Frégate d’avant-série sont confiées à quelques clients « privilégiés » qui ont accepté de jouer les essayeurs pour la marque, en bénéficiant d’une assistance totale de la part du constructeur envers les problèmes éventuels qu’ils rencontreraient durant leur durée d’utilisation. L’une de ces Frégate d’avant-série sera d’ailleurs livrée à Pierre Lefaucheux sur le parking du circuit des 24 Heures du Mans, durant la célèbre compétition, le 23 juin 1951.
Au printemps de cette année-là, ce sont les services commerciaux de la Régie qui ont la charge du projet et prennent donc le relais du bureau d’études. Outre les habituels et indispensables descriptifs techniques ainsi que les dessins en « vues fantôme » qui illustrent les différents organes mécaniques de la voiture, le premier catalogue est aussi complétée par une série de très belles planches de dessins en couleurs présentant la Frégate dans différentes situations. Dans cette brochure, la Frégate y est présentée comme un modèle du millésime 1952. Il n’y eut, en effet, officiellement, pas de Frégate produites durant l’année-modèle 1951, en dehors des exemplaires de pré-série confiés à des clients-cobayes. Si la commercialisation effective de la Frégate de série débute bien à l’occasion du Salon d’octobre 1951, comme il avait été prévu par Pierre Lefaucheux, les premiers exemplaires ne sont toutefois livrés à leurs propriétaires qu’au cours du mois de novembre. Ces dernières sont, pour le moment, produites au sein de l’usine « historique » de la marque à Billancourt, en attendant que l’usine de Flins, qui a été construite, notamment, pour en assurer la production, soit opérationnelle.
Dues au crayon de Robert Barthaud, les lignes de la Frégate semblent avoir été inspirés par celles de certaines voitures américaines contemporaines, notamment la Chevrolet Styleline, et affiche à la fois une élégance certaine ainsi qu’un classicisme de bon aloi propre à séduire la clientèle « bourgeoise » à laquelle elle s’adresse. Tout comme la ligne, les journalistes de la presse automobile soulignent aussi le côté spacieux de l’habitacle prévu pour accueillir six personnes, ainsi que la très bonne capacité du coffre et la suspension à roues indépendantes.
Le service commercial de la marque, ainsi que les vendeurs qui accueillent les visiteurs sur le stand Renault lors du Salon, sont, par contre, beaucoup plus discret en ce qui concerne le moteur qui équipe la nouvelle Frégate. En particulier au niveau de la puissance offerte par ce quatre cylindres de deux litres. En fait, il développe 58 chevaux, soit guère plus que celui de la Traction 11 CV de Citroën (56 ch), qui, lui, a pourtant été conçu une quinzaine d’années plus tôt, et bien en-dessous de ceux de la Hotchkiss-Grégoire (65 ch) ou même du V8 de la Ford Vedette, lequel, malgré son âge avancé (Il a été lancé en 1932) et sa conception technique dépassée parvient néanmoins à développer une puissance de 66 chevaux. Si ce moteur prouvera sa robustesse sur les utilitaires de la marque, son caractère bruyant sied plutôt mal à une berline familiale. Un défaut que l’on retrouve aussi sur la boîte de vitesses et l’arbre de transmission. Ajouter à cela une direction dont la dureté rappelle celle des utilitaires de l’époque et une finition gère plus avenante que celle de la populaire 4 CV et on comprend assez bien pourquoi la nouvelle Frégate a un peu de mal à séduire les foules. La vitesse maximale que peut atteindre la Frégate, 130 km/h, semble également un peu juste face à ses principales concurrentes. Si elle dépasse celle de la Traction Avant de Citroën (120 km/h), elle reste cependant inférieure à celle de la Ford Vedette (135 km/h) et de la Hotchkiss-Grégoire (140 km/h). Sur le plan technique, les seuls points sur lequel la première génération de la Frégate donne entière satisfaction sont un faible rayon de braquage, un système de freinage efficace en toutes circonstances, le confort apporté par la suspension équipée de quatre roues indépendantes ainsi qu’une excellente tenue de route.
Pour mieux mettre en valeur son modèle haut de gamme et lui donner un coup d’élan dont il semble avoir bien besoin, l’état-major de la Régie songe à faire étudier et à commercialiser une version plus exclusive de la Frégate. Sans doute inspiré par l’exemple de quelques autres constructeurs français, notamment Simca avec la version Sport dérivée de la Simca Huit et ensuite de l’Aronde, dont la carrosserie a été dessinée par Pininfarina et produite en France par Facel-Métallon (Le futur constructeur des Facel-Vega), Pierre Lefaucheux décide de s’adresser à Ghia, qui est alors l’un des ateliers les plus réputés parmi les carrossiers italiens. Dans le courant de l’année 1953, un châssis de la Frégate est donc expédié à Turin. Le fruit du travail du maître-carrossier transalpin est présenté au public lors du Salon de l’automobile de Paris en octobre de cette année-là. D’une indéniable réussite, les lignes du séduisant cabriolet de couleur vert émeraude, dues au crayon inspiré de Luigi Segre, le chef du bureau de style de Ghia, qui constitue la vedette du stand Renault, s’ils affichent un air de famille évident avec la berline Frégate de série n’a pourtant aucun panneau de carrosserie en commun avec cette dernière. Comme pour les créations de Pininfarina à l’époque, on retrouve dans ce cabriolet Frégate certains traits de style que l’on retrouvera sur les Chrysler D’Elégance ainsi que sur la première génération des Volkswagen Karmann-Ghia (Type 14). Le dessin ovale de la calandre, quant à lui, inspirera les stylistes de Renault, puisqu’on le retrouvera sur la berline Frégate à partir du millésime 1955. Si les visiteurs qui se rendent au Grand Palais ainsi que les lecteurs de la presse automobile, qui publie de nombreuses photos du cabriolet prises sous toutes coutures, font preuve d’enthousiasme, celui-ci va toutefois nettement retomber lorsqu’il découvre le tarif dévoilé par la Régie : 1 300 000 (anciens) francs. Même s’il ne s’agit encore là que d’un tarif « prévisionnel », c’est à dire donné à titre « indicatif », il n’en apparaît pas moins fort élevé, surtout quand on le compare avec celui des modèles de série de la gamme Renault. La version de base de la Frégate, la berline Affaires, se laisse ainsi emportée contre la « modique » somme de 784 000 F. A un tel niveau de prix, cela paraît bien trop cher et trop « élitiste » pour la régie Renault. Ce nouveau luxe collant mal avec la forte image de constructeur de voitures populaires que Renault s’est déjà taillé à l’époque. Le projet est alors abandonné et le cabriolet remisé dans les réserves de l’usine. Il en sera toutefois « exhumé » dans le courant de l’année 1955 pour participer à un projet à la fois original et inattendu. Dans les années 50, Renault, comme beaucoup d’autres constructeurs, s’intéresse, d’une part, au développement du moteur à turbine et, d’autre part, aux applications des matières plastiques pour les carrosseries automobiles. L’Etoile Filante, qui sera équipée d’un système de propulsion à turbine, n’en est alors encore qu’au stade des dessins et des maquettes, mais le bureau d’études envisage alors de l’habiller d’une carrosserie en plastique. Afin de pouvoir se familiariser avec cette technique qui est alors toute nouvelle, la direction de la Régie décide alors de ressortir l’Ondine de la réserve où elle avait été remisée afin de se servir de sa carrosserie pour la réalisation d’un double, c’est à dire d’une voiture jumelle, qui sera équipée de cette nouvelle carrosserie en polyester. Au final, ce sont, en réalité, trois cabriolets qui seront réalisés par le bureau d’études au cours de l’année 1955 et recevront ces panneaux de carrosseries en matériaux composites. En plus de ceux-ci, ils recevront également une calandre, des feux arrière et des pare-chocs identiques à ceux du cabriolet réalisé par Ghia. Le premier de ces trois cabriolets à carrosserie « plastique », construit au printemps 1955, se distingue toutefois de celui réalisé par le carrossier turinois par la teinte gris clair de sa carrosserie, ses enjoliveurs de roues au dessin plus simple ainsi que l’absence de toute baguette décorative sur les flancs. Il sera plus tard repeint en rouge et participera au Tour de France en juillet 1956, où il servira de voiture directoriale au patron de l’épreuve cycliste de l’époque, Jacques Goddet. En plus de servir au bureau d’études à l’étude des carrosseries en matière plastique, ces trois nouveaux cabriolets serviront aussi pour l’étude d’une nouvelle commercialisation de l’Ondine avec cette nouvelle carrosserie, la direction de Renault estimant qu’une version équipée d’une carrosserie en polyester serait sans doute moins chère à produire en série qu’une carrosserie classique en tôle d’acier. Toutefois, manifestement, le coût de revient comme le prix de vente estimé de cette nouvelle version ne parut pas suffisamment compétitif aux yeux des dirigeants de la Régie et cette Ondine « synthétique » resta, elle aussi, sans lendemain. Les trois exemplaires furent alors revendus en 1957, dont l’un au Garage des Boulevards à Clermont-Ferrand, la concession Renault dirigé auparavant par le célèbre pilote Louis Rosier. Cette dernière est aujourd’hui la seule survivante des trois Frégate Ondine avec la carrosserie synthétique. On ignore ce qu’il est advenu du cabriolet originel (en acier) réalisé par Ghia, probablement ferraillé par Renault après avoir servi de modèle pour les trois cabriolets équipés de carrosseries synthétiques.
Le projet de commercialiser une version décapotable de la Frégate n’est pourtant pas abandonné, en tout cas par les carrossiers français. En tout cas par ceux qui sont encore actifs au milieu des années cinquante.
Autrefois réputée dans toute l’Europe pour la qualité de ses réalisations, à cette époque, la carrosserie française est, en effet, sur le déclin. Incapable ou refusant de s’adapter aux techniques nouvelles et continuant à recourir aux méthodes de travail artisanales d’avant-guerre, qui sont désormais totalement dépassées, la plupart d’entre-eux seront alors bientôt condamnés à mettre la clé sous la porte. Ajoutez à cela que les derniers constructeurs français de voitures de luxe disparaissent eux aussi les uns après les autres et il est alors évident que la situation des carrossiers qui sont encore actifs devient rapidement problématique. Même auprès des constructeurs étrangers, sur lesquels ils avaient pu, un temps, se rabattre, les carrossiers français ont de plus en plus de mal à trouver des châssis sur lesquels exercer leur art, tous les constructeurs, même ceux spécialisés dans le haut de gamme, abandonnant progressivement les modèles qui, auparavant, étaient vendus uniquement en châssis nus pour des modèles dont les carrosseries sont, désormais, intégralement réalisés au sein de l’usine ou, dans le cas des versions « spéciales » réalisé en petites séries par des carrossiers qui, eux, utilisent des techniques de travail plus modernes. La seule solution qui semble rester aux derniers grands noms de la carrosserie française est donc, en plus de moderniser leurs équipements et leur façon de travailler est aussi de se pencher sur la réalisation de versions « spéciales » basé sur les modèles de série proposés par les grands constructeurs. C’est d’ailleurs ce que fera l’un d’entre-eux, Henri Chapron, à cette époque. Devenu célèbre pour ces réalisations sur les châssis des marques Delage et Delahaye, la disparition, simultanée, de ces deux constructeurs en 1954 sera un coup dur pour le carrossier, qui perd alors ses deux plus importants clients. C’est la raison pour laquelle Chapron commence alors à réaliser une série de projets de versions « hors-série » de certains des modèles français les plus populaires de l’époque, comme les coachs et les cabriolets Mouette sur base de la Renault Dauphine ou encore les prototypes de versions coupés de la Simca Vedette ou de la Peugeot 403. (La plupart de ces projets resteront toutefois sans suite). Si le courant ne passera guère entre Henri Chapron et Henri-Théodore Pigozzi, le PDG de Simca (même si ce dernier confiera au carrossier la réalisation de la sellerie et de l’habitacle des berlines décapotables basées sur la Simca Vedette destinées à l’Elysée) et que Peugeot, de son côté, ne se montrera guère intéressé par le projet de coupé 403 proposé par Chapron, ce dernier aura cependant plus de chance avec Renault, qui acceptera de conclure un partenariat avec le carrossier et de lui fournir des châssis de la Frégate, qui seront alors carrossés en coupés et en cabriolets, lesquels seront ensuite vendus, notamment, par l’intermédiaire du réseau Renault. Si le nombre de coupés et de cabriolets Frégate réalisés par Henri Chapron paraît fort modeste et ils lui permettront néanmoins de poursuivre son activité durant cette période noire pour la carrosserie française, en attendant la conclusion du futur partenariat avec Citroën, pour lesquels il réalisera les exemplaires de la version cabriolet de la DS.
Parmi les autres carrossiers à avoir travaillé sur la Frégate, le plus connu est certainement Letourneur et Marchand. Tout comme Chapron, la disparition des derniers constructeurs français de prestige va mettre à mal son activité et ce dernier est lui aussi contraint de se tourner vers les modèles des grands constructeurs pour trouver de nouvelles bases de travail. La réalisation des cabriolets Frégate (69 au total) lui permettra de se maintenir en activité jusqu’à la fin des années cinquante. Mais la fin du contrat avec Renault, conséquence de l’arrêt de la production de la Frégate, sera fatal au carrossier, qui sera alors contraint de fermer ses portes en 1960. Le dernier exemplaire sera commandé tout spécialement par la direction de la Régie à l’occasion de la visite du prince Rainier de Monaco et de la princesse Grace qui visiteront les usines Renault à bord de cet ultime cabriolet.
La première réalisation hors-série sur base de la Renault Frégate sera pourtant due à un carrossier qui, surtout à cette époque, n’a ni le prestige ni l’ancienneté non plus de carrossiers aussi prestigieux que Chapron ou Letourneur et Marchand. C’est en effet au carrossier Pichon-Parat, établis à Sens, fondé en 1952 que l’on doit la première carrosserie spéciale sur la Frégate, avant même le cabriolet Ondine créé par Ghia. Comme cette dernière, la réalisation des ateliers Pichon-Parat prend la forme d’un cabriolet, qui sera exposé au Salon de Paris en 1952. Si, en dehors de la prise d’air sur le capot, la première version du cabriolet réalisé par Bernard Pichon et André Parat apparaît comme une simple version « décapsulée » de la berline, celle présentée au Grand Palais se révélera plus « baroque », notamment avec sa nouvelle calandre en forme d’écusson ainsi que les moulures chromées décorant ses flancs. Comme le carrossier n’avait pas jugé utile de modifier les ailes ni d’allonger les portières (dont la longueur restait identique à celle du modèle de série), cela avait pour effet, lorsque la voiture était vue de profil, de nuire quelque peu à l’équilibre de l’ensemble. En tout état de cause, le cabriolet frégate réalisé par Pichon-Parat restera un projet sans suite, les deux associés préférant se consacrer à d’autres projets, notamment les versions spéciales des Panhard Dyna et Junior.
Parmi les autres réalisations « hors-série » les plus remarquables sur base de la Frégate figure également le coupé à pare-brise panoramique réalisé en 1955 pour la firme Autobleu par le carrossier italien Mario Boano et dont la mécanique sera revue par le célèbre préparateur Carlo Abarth et dont les lignes évoquaient fortement certaines réalisations sur les Maserati contemporaines. Malheureusement, comme pour le cabriolet réalisé par Ghia, le prix de vente estimé pour ce modèle s’avérera trop coûteux et ce beau coupé restera donc à l’état de prototype.
En 1953, la Frégate, jusqu’ici uniquement disponible en une seule version, voit sa gamme s’enrichir et se diviser désormais en deux niveaux de finition. Celle de base reçoit l’appellation « Affaires », alors que le haut de gamme est baptisé « Amiral ». Un autre point critiqué par la presse comme par les premiers clients lors du lancement de la Frégate était la garniture des sièges ainsi que des contre-portes. S’ils paraissaient de bonne qualité, leur aspect restait en revanche trop « utilitaire », trop austère et pas assez cossu pour un modèle de cette catégorie. D’où l’apparition de la nouvelle version « Amiral », qui entend remédier à cela La calandre d’origine à trois barres horizontales s’efface au profit d’une nouvelle grille ovale traversée par une moulure centrale. Les enjoliveurs de roues sont eux aussi modifiés et les projecteurs antibrouillards disparaissent. La berline Affaires conserve, elle, l’ancienne calandre. Un choix sans doute dicté autant par souci d’économie que pour la différencier de la version haut de gamme Amiral. Bien qu’elle soit vendue à un prix intéressant, l’austérité excessive de sa présentation va toutefois freiner sa carrière. Dépourvue d’enjoliveurs chromés à l’extérieur, de baguettes latérales sur les flancs, de sabots d’ailes et de butoirs de pare-chocs, elle affiche ainsi clairement son statut de version d’entrée de gamme. La présentation et l’équipement intérieur sont d’ailleurs à l’avenant : Planche de bord dépouillée, sellerie ordinaire, absence d’accoudoirs et de vide-poches sur les portières, système de simplifié. En comparaison, l’Amiral s’avère bien plus cossue. Déjà par le nuancier disponible pour la couleur de la carrosserie. Alors que la berline Affaires n’est disponible qu’en deux teintes, la version haut de gamme offre, elle, le choix entre cinq couleurs. Outre sa nouvelle calandre, à l’extérieur, elle se distingue de la version de base par ses moulures chromées sur les flancs et sur les ailes arrière, ses clignotants sous les phares, ses butoirs de pare-chocs et, à l’intérieur de la voiture, par un équipement et une présentation plus cossue.
La berline Affaires est affichée au prix de 772 000 F. S’il reste plus compétitif que celui de la version Amiral (dont le prix est fixé à 858 000 F), cela reste un tarif plutôt élevé quand on sait que, chez Citroën, la Traction 11 Normale ne coûte que 654 000F. L’arrivée de la Simca Versailles, avec son V8 et ses lignes inspirées de ses grandes cousines américaines, n’est évidemment pas faite pour arranger les choses, en détournant une bonne partie de la clientèle potentielle de la Frégate.
Le vaisseau amiral de la Régie, déjà décidément bien malmené, doit bientôt affronter une nouvelle tempête avec l’entrée en scène, au Salon d’ octobre 1955, de la révolutionnaire DS qui succède à la Traction chez Citroën. Renault ne peut alors guère opposer, comme « parade », qu’une nouvelle version haut de gamme de la Frégate, encore plus luxueuse que l’Amiral, la Grand Pavois. Celle-ci se caractérise notamment par sa carrosserie bicolore et bénéficie, tout comme l’Amiral, d’ un nouveau quatre cylindres, baptisé Etendard, affichant 2 141 cc et délivrant 77 ch, soit presque 20 ch de plus que le moteur initial.
Lors du Salon de Paris d’octobre 1954, la Frégate reçoit aussi une amélioration significative de sa mécanique. Grâce à une augmentation du taux de compression (7,2 au lieu de 6,6), à un vilebrequin, une culasse, un arbre à cames et une tubulure d’admission revue, celle-ci voit sa puissance augmentée et passer de 58 à 64 chevaux. Si ce surcroît de puissance est fort bienvenu, ce rendement n’a toutefois rien d’exceptionnel pour un moteur de deux litres au milieu des années 50. En tout cas, la puissance est maintenant mentionnée dans les donnés techniques publiées dans les catalogues sur la Frégate, alors que, jusqu’ici, elle en était « curieusement » absente.
C’est d’ailleurs au volant d’une berline Frégate que le patron de Renault, Pierre Lefaucheux, trouvera la mort, près de Saint-Dizier (dans la Haute-Marne), le 11 février 1955. Alors qu’il se rendait à Strasbourg pour donner une conférence au foyer des étudiants catholiques, sa voiture dérapa sur une plaque de verglas et fit alors un tonneau dans un champ, au cours duquel il eu la nuque brisée par le choc d’une valise qui avait été posée sur la banquette arrière. Une cérémonie à sa mémoire, réunissant tous les membres du personnel, eu lieu au sein de l’usine Renault de l’île Seguin huit jours plus tard. Son successeur, Pierre Dreyfus, fut nommé par Edgar Faure, le 27 mars. Un poste qu’il occupera pendant pas moins de vingt ans, jusqu’à son départ à la retraite en 1975.
En 1956, la Frégate connaît à nouveau un changement majeur. Si, jusque-là, elle n’était disponible, au sein du catalogue Renault, qu’en berline, elle s’enrichie à présent d’une version break. Même si, en France à cette époque, le concept du break était encore assez marginal, cette version aura gagné à être commercialisé plus tôt dans la carrière de la Frégate, vers 1953 ou 1954. Au moment où la plupart de ses ennuis mécaniques avaient été éliminés. Soit que cette carrosserie n’était probablement pas encore à l’étude lors du lancement de la grande Frégate ou que, au vu des problèmes en tous genres que la Régie a rencontré lors du lancement de son modèle haut de gamme, la direction de Renault avait évidemment d’autres priorités et que le lancement d’un dérivé « utilitaire » n’était pas jugé utile ou indispensable. Baptisé Domaine, ce break est basé sur la berline Affaires et elle en reprend d’ailleurs la calandre à trois barres horizontales comme l’équipement. Etant donné la vocation avant tout utilitaire de ce modèle, elle n’aura pas droit à la transmission Transfluide, qui reste réservée à la berline. Ce n’est que lors du lancement des modèles du millésime 1959, que le break Frégate recevra une version plus luxueuse, baptisé Manoir, qui sera équipé de ce système.
Dans cette seconde moitié des années 50, Renault a désormais d’autres priorités, comme le lancement de la Dauphine (dévoilée en 1956) qui est destinée, à terme, à remplacer la 4 CV, et le nouveau PDG, Pierre Dreyfus, refusa tout nouvel investissement d’importance pour la Frégate. Ce dernier ne cache guère qu’il n’a jamais vraiment aimé ce modèle, qui, à ses yeux, d’une vision « passéiste » de la place de Renault sur le marché automobile. Il estime également (et sans doute à juste titre) que l’avenir de la marque reposait sur les nouveaux modèles de la marque ainsi que sur ceux qui étaient alors en gestation, comme la future R4) et que la majeure partie des efforts qui pourraient être déployés pour tenter de revitaliser un modèle désormais en fin de vie seraient sans doute vains. Dans son esprit, l’avenir de Renault passe par une expansion de la marque au niveau européen, voire même mondiale, et, dans cet objectif, la nouvelle Dauphine constitue pour cela un atout bien meilleur que la Frégate, dont la réputation semble avoir été irrémédiablement entachée par les vicissitudes qui ont émaillé sa conception et tous les « problèmes de jeunesse » qui en ont découlé lors de son lancement sur le marché. Investir à nouveau sur celle qui est à présent affligée de l’étiquette de « mouton noir » de la gamme Renault n’aurait donc certainement aucun effet bénéfique pour celle-ci. Il était désormais trop tard pour que le « vilain petit canard » ait encore une chance de pouvoir se changer en cygne !
Si, aux yeux de beaucoup, son destin semble déjà scellé, cela n’empêche pourtant pas Renault de proposer, pour le millésime 1958, la transmission automatique Transfluide. Ce type de transmission est alors à la mode sur les berlines populaires françaises, avec les systèmes Ferlec sur les 4 Cv et Dauphine, le coupleur Jaeger sur la Panhard Dyna et la Peugeot 403 ou encore l’embrayage Gravine sur la Simca Aronde. En réalité, dans le cas de la Frégate, la soi-disant transmission automatique n’ est, en réalité, qu’ un convertisseur de couple positionné juste en arrière du moteur et alimenté par l’huile de celui-ci. Un embrayage à commande électrique faisant la jonction entre le convertisseur et la boîte à quatre rapports classique commandée par un levier au volant. Un système qui, outra son caractère lourd et lent, s’ avère également d’une fiabilité aléatoire. Au total, seuls un peu plus de 13 500 exemplaires en seront équipés.
Sur le plan esthétique, le seul changement notable pour le millésime 1958 sera la suppression de la mascotte en métal chromé, en forme d’avion supersonique, qui figurait jusque-là à l’extrémité du capot, celle-ci ayant été jugée trop dangereuse en cas de collision avec un piéton ou un cycliste.
De nouvelles moulures chromées, plus nombreuses encore, et de nouveaux traitements bicolores changeant à chaque millésime n’y changera rien non plus.
Ayant sans-doute la nostalgie du temps où, avec ses 40 CV, Reinastella et Suprastella, Renault était le fournisseur officiel des garages de l’ Elysée, la direction de la marque fera faire fabriquée, là aussi en 1958, par Ghia, une version limousine de la Frégate, sur un châssis rallongé, destinée à la Présidence de la République. Bien que présentant des lignes assez réussie, elle ne servira toutefois que peu, à l’exception de quelques visites officielles de chefs d’Etats étrangers, comme le président américain Eisenhower ou le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev. Le général De Gaulle ne s’ en servira toutefois que fort peu, lui préférant, de loin, les Citroën.
Malgré toutes les tentatives de la Régie Renault pour faire en sorte que sa berline Frégate puisse se faire une place enviable sur le marché automobile de la France des années cinquante, toutes ou presque feront long feu. Prouvant que pour qu’un modèle connaisse une carrière commerciale réussie, il faut que celui-ci fait la preuve, dès le départ, de ses qualités et que le fruit soit donc bien mûr au moment de son lancement. Car, si, par malheur, le fruit est encore trop vert lorsque le modèle est lancé sur le marché, la grande majorité des clients refusent d’essuyer les plâtres, s’en détourne rapidement et se dirigent alors vers d’autres modèles. Comme le dit un vieux dicton bien connu : « La première impression est toujours la bonne, surtout si elle est mauvaise ! ».
Les dernières Frégate se signaleront par leurs nouveaux feux arrière formant des embryons d’ailerons. S’étant déjà échoué depuis longtemps, celle qui devait être le « vaisseau amiral » de la gamme Renault des années cinquante et son porte-drapeau achève de faire naufrage en avril 1960, date à laquelle les derniers exemplaires quittent, de manière presque clandestine, l’ usine de Flins. Au total, toutes versions confondues, 180 463 exemplaires de la Frégate seront sortis des chaînes. Etant donné leur carrière fort courte et leur caractère assez marginal, tant au sein de la gamme Frégate que du catalogue Renault en général, il n’est pas étonnant qu’il n’y ait eu qu’entre 9 000 et 12 000 exemplaires du break Domaine qui aient été produits.
Texte Juan Moreno
Phtos DR et Renault Archives
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