MELKUS – L’Alpine d’Allemagne de l’Est.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire – et que l’on a d’ailleurs longtemps cru -, du temps de la Guerre Froide, le sport automobile n’était pas une distraction réservée uniquement aux pays « capitalistes ». Sans-doute est-ce là l’un des – nombreux – effets collatéraux du rideau de fer qui, pendant près d’un demi-siècle, coupera l’Europe en deux, mais ce que l’on a longtemps ignoré – et que l’on a découvert avec étonnement, une fois celui-ci tombé -, c’est que les régimes communistes des « démocraties populaires » ont, elles aussi, parfois dès le courant des années cinquante, les bases de ce qui allait devenir le milieu de la compétition automobile.
Celle-ci, à l’origine, sera d’abord l’œuvre d’une poignée de passionnés, aussi talentueux qu’audacieux, voire courageux. Souvent des garagistes ou même de simples particuliers assez doués, dont les échos des grandes compétitions automobiles se déroulant au sein des « nations impérialistes » sont parvenus, en dépit de la fermeture des frontières et de la censure du pouvoir, à parvenir jusqu’à eux. Rêvant puis ambitionnant fortement de démontrer que, quelque soit les pénuries et autres restrictions affectant leurs pays, eux aussi avant les capacités de rivaliser avec leurs rivaux – et néanmoins confrères – occidentaux, ils vont se retrousser les manche. Dans le secret des réserves de leurs garages, ils vont alors commencer à concevoir puis à assembler des bolides de courses inspirés, parfois volontairement ou inconsciemment de ceux qui s’illustrent sur les plus grands circuits d’Europe occidentale.
Malgré des moyens techniques comme financiers souvent à cent, voire à mille lieues de ceux des grands constructeurs et autres préparateurs spécialisés que l’on trouve alors en Allemagne, en Angleterre, en Italie – sans même parler de l’Amérique – et des ambitions qui sont d’ailleurs souvent bien plus modestes. Malgré le recours souvent fréquent, voire obligatoires, au système D, l’ingéniosité et le sens de la débrouillardise dont ils sauront faire preuve permettra à un certain nombre de réaliser leurs rêves. Ceci, en réutilisant le châssis ainsi que la mécanique d’une ancienne Wartburg, Syrena, Skoda, Moskvitch ou autres.
Tout comme à l’Ouest, il existe alors, au sein des pays de l’Est, un certain nombre de clubs automobiles qui organisent des compétitions de toutes sortes, à l’échelle locale ou nationale, qui se déroulent sur routes comme sur circuits et qui voient s’affronter des bolides de toutes sortes. Prenant assez rapidement conscience de l’intérêt que celles-ci suscitent au sein de la population – ainsi que du bénéfice qu’ils peuvent en tirer en terme d’image -, les différents pouvoirs communistes commencent bientôt à autoriser et à allouer des crédits aux différents constructeurs nationaux pour la création de départements spécifiquement dédiés à la compétition. Certaines de leurs créations ne seront, simplement, que des modèles de série dotées de mécaniques aux performances améliorées ainsi que d’une série d’équipements spécifiques afin de pouvoir courir sur les pistes des circuits ou les routes des rallyes – et qui bénéficieront d’ailleurs parfois de versions « civiles » au sein des modèles de production. D’autres seront toutefois encore plus abouties, avec des engins spécialement conçus pour la course, parfois conçus à partir d’une feuille blanche et recevant des châssis ainsi que des mécaniques inédites.
Au sein de la République Démocratique Allemande, la R.D.A, comme dans les autres « pays frères », plusieurs passionnés n’hésitent pas à franchir le pas – en dépit des difficultés financières et matérielles qu’engendrent une telle aventure, ainsi que des tracasseries administratives souvent imposées par les autorités – pour s’illustrer eux aussi dans le monde de la compétition automobile. Parmi ces derniers, celui qui laissera l’empreinte la plus profonde fut Heinz Melkus.
Né en 1928, ce pilote talentueux fera ses premières armes au sein de la compétition (en tant que pilote professionnel) en 1951, en s’illustrant avec une barquette de sa création, créée sur la base de la Volkswagen Schwimmwage. (Un véhicule amphibie conçu sur la base de la Coccinelle, dont un certain nombre furent abandonnés par l’Armée allemande en déroute à la fin de la guerre, devant l’avancée des troupes russes marchant vers Berlin). Dans un premier temps, si ce dernier se contente de créer des bolides uniques répondant simplement à ses envies ainsi qu’aux nécessités de la course et des différentes épreuves. A la fin des années 50, toutefois, Heinz Melkus décide de « passer à la vitesse supérieure ». Sans-doute encouragé par ses succès remporté sur les circuits est-allemands, il se lance alors dans la fabrication, en petite série, de monoplaces équipés d’un moteur trois cylindres à deux-temps de la Wartburg, destinée à courir en Formule Junior. Son succès sera aussi rapide qu’important, puisqu’elle sera produit, durant quatorze ans, à plus de 130 exemplaires en tout (entre 1959 et 1973). Quatre ans plus-tard, en 1977, Melkus créée une nouvelle monoplace mais équipée, cette fois-ci, du quatre cylindres 1,3 l des Lada, et ensuite d’un bloc de 1,6 litre, de même origine, à partir de 1988.
En dépit du succès remporté par sa monoplace auprès des pilotes nationaux, le petit constructeur Est-allemand n’entend pas s’en tenir là et « vivre sur ses lauriers ». A la fin des années soixante, en effet, un nouveau projet voit le jour. Un projet d’ailleurs soutenu par l’ADMV (l’Automobile Club d’Allemagne de l’Est). Celui-ci prend la forme d’une berlinette d’allure sportive qui, tout comme les créations antérieures de Heinz Melkus, est motorisée par la mécanique de la Wartburg 353, dont elle reprend d’ailleurs également le châssis.
Achevé au printemps 1969, le prototype de la future Melkus RS1000 semble avoir puisé son inspiration, sur le plan esthétique, sur quelques-unes des sportives occidentales les plus emblématiques de l’époque, telles l’Opel GT ou la Lotus Europe ou encore quelques petites sportives artisanales françaises plus confidentielles, comme la Jidé. Si, de profil, la berlinette créée par Melkus surprend quelque peu par son empattement qui paraît un peu trop long (mais il ne faut pas oublier qu’elle a été conçu en partant du châssis d’une berline à quatre portes), ses lignes apparaissent, en tout cas, assez réussies et n’ont pas grand-chose à envier aux sportives de même catégorie qui courent alors sur les circuits en Angleterre ou en France. Même si cette solution a sans doute été adoptée avant tout pour faciliter l’accès aux pilotes, du fait de la taille fort basse de la voiture, les portes papillon constituent l’une des originalités de cette berlinette Est-allemande.
Avec une alimentation assurée par trois carburateurs, le trois cylindres deux-temps sortis des usines Wartburg (qui, avant-guerre, appartenaient à BMW et produisaient les plus luxueux modèles de la firme de Munich), placé ici en position centrale arrière, parvient à développer jusqu’à 70 chevaux et permet ainsi, grâce à la légèreté de sa carrosserie réalisée en polyester, ainsi à la Melkus RS1000 d’atteindre sans difficultés les 160 km/h. La carrosserie en fibres synthétiques est composée de trois parties : la cellule de l’habitacle (renforcée par un treillis tubulaire destinée à la fois à assurer la rigidité de la structure de la voiture ainsi que la sécurité des pilotes), ainsi que le capot avant qui intègre les ailes ainsi que le masque avant, tout comme celui à l’arrière. En plus de la version d’origine, une version plus puissante, équipée d’un moteur dont la cylindrée sera portée à 1,1 litre et la puissance à 90 et ensuite à 100 chevaux et la vitesse de pointe à 180 km/h, sera également lancée en 1972. Si la boîte de vitesses est elle aussi d’origine Wartburg, elle a également été modifiée pour répondre aux usages de la compétition, comportant désormais cinq vitesses afin de pouvoir exploiter au maximum les performances de la mécanique.
Si la production de la berlinette Melkus reste assez limitée, avec à peine une dizaine d’exemplaires par an, les méthodes de fabrication fort artisanales, comme le fait qu’elle soit avant tout destinée à la compétition ainsi que la faiblesse chronique du pouvoir d’achat, en RDA comme dans les autres pays communistes, en limitaient forcément la diffusion. C’était d’ailleurs de l’AMDV que dépendait la vente de la Melkus, les clients intéressés, en plus de devoir posséder une licence sportive, devait donc déposer une demande et s’inscrire sur une liste d’attente en espérant que celui-ci accéderait à leur demande. S’ils respectaient les conditions d’attribution fixées par l’Automobile Club Est-Allemand, les futurs propriétaires avaient l’assurance de ne devoir patienter qu’à peine un ou deux ans pour recevoir leur voiture. Ce qui était un délai relativement « raisonnable », quant on sait que certains citoyens de la RDA devaient parfois attendre entre cinq et dix ans pour pouvoir prendre livraison d’une Wartburg ou d’une Trabant. La Melkus RS 1000 était, en effet, affichée au prix de 30 000 ostmarks, ce qui la mettait hors de portée de la grande majorité des citoyens d’Allemagne de l’Est.
Une centaine d’exemplaires en sera toutefois produit jusqu’en 1980, la plupart connaîtront d’ailleurs une carrière sportive assez intense sur les circuits de l’Allemagne orientale. La plus grande partie de la production sera d’ailleurs diffusée sur le marché intérieur et la berlinette Melkus ne sera guère connue de l’autre côté du rideau de fer. Sa seule apparition au sein d’un Salon Automobile en Europe de l’ouest ayant, semble-t-il, été au Salon de Bruxelles en 1972.
Si Heinz Melkus est décédé en 2006, ses descendants – son fils Peter et son petit-fils Sepp -, qui sont devenus concessionnaire BMW à Dresde, décident de relancer la production de la berlinette, qui sera produite à une quinzaine d’exemplaires, quasiment identiques à celles produites durant les années 70, vendues au prix de 50 000 marks.
Après cette première expérience, ces derniers présente, en 2009, une version modernisée de la berlinette, la RS 2000. Si elle reprend le principe des portes papillon comme sur sa devancière, ses lignes sont, elles, assez éloignées de celles de sa devancière et évoquent plus la Lotus Elise. Elle ne sera toutefois produite qu’à quelques exemplaires avant que la firme ne soit forcée de déposer le bilan en 2012, un an à peine après la mise en production et une dizaine d’exemplaires produits, en tout et pour tout. Malgré une ligne assez suggestive ainsi que des performances fort intéressantes (entre 300 et 350 chevaux, selon les versions), cette nouvelle Melkus ne sera, finalement, qu’une « étoile filante ».
S’il était prévu, dès le départ, que sa production reste fort limitée, avec une production annuelle de seulement 25 exemplaires, cela restait déjà un challenge. Si, sur le papier, le concept de cette nouvelle Melkus avait tout pour plaire, ses concepteurs semblaient toutefois avoir oublié que la notoriété de la marque était restée cantonnée à ‘ancienne Allemagne de l’Est et que, la Melkus incarnait elle aussi, pour la plupart des citoyens de l’ancienne R.D.A, une époque sombre que tous préféraient oublié et laisser derrière eux. Les victoires remportés en compétition en vingt ans de carrière n’ayant pas vraiment suffi à gommer complètement cette image de « symbole du communisme ».
Philippe Roche
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