HINDUSTAN AMBASSADOR – Vestige britannique au pays de Gandhi.
Un nouvel article pour poursuivre le « tour du monde » de l’industrie automobile, ancienne ou plus récente. Afin de faire découvrir les modèles peu voir inconnus car n’ayant, pour la plupart d’entre-eux, jamais été vendus chez nous.
Après avoir représenté, durant près d’un siècle, le plus grand et le plus beau joyau de l’Empire britannique et avoir ensuite obtenu son indépendance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le nouveau gouvernement indien, prenant sans doute conscience de l’importance des besoins d’une grande partie de la population, décide de mettre alors progressivement en place une véritable industrie automobile. Dans un pays encore, sur bien des points, en voie de développement et où une grande partie de la population vit dans des conditions fort modestes, l’acquisition d’une voiture particulière est évidemment loin de faire partie des préoccupations premières de la plupart des habitants.
Néanmoins, si même la plus modeste des automobiles restent un véritable « luxe » résolument hors de portée de la grande majorité des Indiens, le nouveau gouvernement de l’Inde indépendante ainsi que les grandes industriels locaux ont conscience que les besoins existent bel et bien. Des besoins dont les uns comme les autres sont d’ailleurs convaincus qu’ils risquent bien d’augmenter assez rapidement au fil du temps. Au vu de l’immensité de ce qui était alors encore l’Empire des Indes, les Britanniques avaient d’ailleurs déjà commencé à créer les fondations de l’industrie automobile indienne.
C’est en effet en 1942 que fut créer l’entreprise Hindustan Motors Limited, fondée grâce à un accord de collaboration entre une famille d’industriels locaux, les Birla, et Lord Nuffield, le président-fondateur de la firme Morris Motors. Les modèles de la marque étant d’ailleurs assez largement connus en Inde puisque la marque y était déjà présente depuis l’entre-deux-guerres. Les modèles alors produits par Hindustan Motors, issus donc de la gamme Morris, restant alors quasiment identiques à ceux produits par le constructeur britannique. Il ne s’agissait d’ailleurs alors simplement, durant les premières années, que de chaînes d’assemblage, la quasi-totalité des pièces de carrosserie et éléments mécaniques étant expédiés par bateaux depuis le Royaume-Uni.
En 1948, après que l’Inde eut accédée à l’indépendance, celles-ci déménagent de Port Okha, près du Gujarat, où elles étaient installées à l’origine, pour s’établir au sein d’un nouveau site de production bien plus vaste, situé à Uttarpara, dans l’Etat du Bengale occidental. Durant les années 1950, celle-ci continuera de produire des modèles étroitement dérivés de ceux produits par Morris en Grande-Bretagne. C’est d’ailleurs l’un de ces modèles, dérivé de la Morris Oxford série III, produite entre 1956 et 1959, qui deviendra, essentiellement du fait d’une carrière exceptionnellement longue, le modèle le plus connu et le plus emblématique de l’industrie automobile indienne : l’Hindustan Ambassador.
C’est en 1956, au même moment où la production de la troisième génération de la Morris Oxford est lancée sur les chaînes de l’usine de Cowley, en Angleterre, qu’Hindustan acquiert auprès de la British Motor Corporation l’outillage nécessaire à sa production. Esthétiquement, le modèle reste assez consensuel et, bien que ses lignes évoquent assez fortement les modèles américains du début des années 50, et a fiche technique demeure, dans son ensemble, très classique et même conservatrice. Elle bénéficie néanmoins d’une structure semi-monocoque, ce qui représentait un progrès non négligeable par rapport à certaines de ses concurrentes, anglaises ou étrangères, qui restaient encore fidèles au châssis séparé, avec aussi le grand avantage d’offrir ainsi un plus grand espace à l’intérieur de l’habitacle.
La voiture fut d’ailleurs conçue par Alec Issigonis, le concepteur de la Morris Minor et de la Mini. La production de la Morris Oxford, qui débute en Inde, sous le nom d’Hindustan Ambassador, en 1957, sera aussi favorisé par la politique adoptée à la même époque par le gouvernement en Inde. Celle-ci visant à favoriser l’industrie automobile nationale en limitant assez fortement les importations de véhciules en provenance de l’étranger. Durant une grande partie de sa carrière, l’Ambassador demeura sans doute le modèle le plus populaire et le plus vendu en Inde, avantagée notamment par un très bon rapport entre sa faible taille extérieur et sa très bonne habitabilité intérieure ainsi que sa robustesse. Ce qui lui permettra ainsi de figurer en tête des ventes devant ses concurrentes, la Premier Padmini et la Standard 10.
Un succès qui commencera toutefois à marquer le pas au début des années 80. Pas tellement en raison de sa silhouette « démodée » et de son âge fort « avancé » mais, surtout, à cause de sa consommation de carburant jugée trop importante ainsi que d’une qualité de fabrication jugée insuffisante par rapport aux niveaux critères désormais en vigueur. Un signe évident du ralentissement marqué du succès dont elle avait profité jusque-là, ainsi que de ses chiffres de vente, est que le délai d’attente pour obtenir une Ambassador n’était « que » de douze mois, alors que, si les acheteurs souhaitaient acquérir une Premier Padmini, ils étaient alors obligé de patienter… près de cinq ans !
Même si Hindustan tentera, par la suite, dans les années 80, de diversifier sa production, en présentant, en 1984, la Contessa. Bien que de taille beaucoup plus grande et d’une allure plus statutaire que l’Ambassador, ce « nouveau » modèle « haut de gamme » n’était, en réalité, qu’une ancienne Vauxhall Victor VX dont le constructeur indien avait racheté, en 1980, la licence de fabrication à celle qui est alors la filiale britannique de General Motors. La production de cette nouvelle « berline de luxe » indienne ne débutera toutefois que quatre ans plus tard. Si sa carrière ne durera pas moins de dix-huit ans, elle ne sera toutefois produite, en tout, qu’à moins de 13 500 exemplaires avant que Hindustan ne se décide finalement à arrêter sa production en 2002. Un manque de succès notamment dut au fait que, sur le plan industriel, Hindustan était, en quelque sorte, le « petit poucet » de l’industrie automobile indienne face à ses concurrents, Tata et Marutti.
Outre le succès important et durable que connaîtra l’Ambassador, ce qui a permis de pérenniser l’entreprise a aussi le patronage dont celle-ci a, pendant très longtemps, bénéficié. Ces derniers disposant de capacités de production nettement supérieures à celle d’Hindustan, celui-ci préférant d’ailleurs réserver la plus grande partie de ses chaînes d’assemblage à l’Ambassador, bien plus rentable. En plus du protectionnisme appliqué par le gouvernement indien à l’époque, le succès de l’Ambassador a aussi été par l’absence presque totale de véritable rivale sur le marché local.
Pendant longtemps, la seule vraie rivale de la petite Hindustan sera, en effet, la Premier Padmini. Si sa carrière sera moins longue, elle s’offrira pourtant le « luxe » de battre l’Hindustan sur le plan des chiffres de production, avec environ un million d’exemplaires produits avant de quitter la scène au crépuscule du XXème siècle. Un record qui ne lui permettra toutefois pas d’acquérir une notoriété comparable à celle de l’Ambassador.
Durant toutes ces décennies, la plus populaire des voitures indiennes ne connaîtra guère, le plus souvent, en tout cas sur le plan esthétique, que des changements mineurs. A tel point que tenter de différencier les premiers modèles sortis à la fin des années 50 de ceux produits dans les années 90 s’apparente un peu à jouer au jeu des sept erreurs. L’essentiel des modifications et des améliorations apportés sur le modèle au fil du temps portant surtout sur la partie mécanique ainsi que sur les équipements de sécurité et de confort : freins à disques, direction assistée et même climatisation viendront ainsi équiper la petite berline anglo-indienne. Si certains d’entre-eux, comme la climatisation, s’avéreront fort utiles au vu du climat indien, ils feront aussi perdre à l’Ambassador une grande partie de sa vocation de voiture populaire.
Si, pendant plusieurs décennies, l’Ambassador restera l’une des voitures les plus populaires en Inde, à partir du courant des années 90, l’ouverture du marché indien aux constructeurs et aux modèles venus de l’étranger, notamment japonais va toutefois progressivement engendrer le déclin de l’Ambassador. Si son image et sa popularité restent intactes auprès du public indien, sa production commence en effet alors à décliner assez fortement au fil des années. Lors de sa dernière année de production, en 2014, il n’en sera ainsi produit que 2 200 exemplaires. Au sein de l’histoire automobile mondiale, l’Hindustan Ambassador aura été l’un des modèles qui aura connu l’un des plus grands records de longévité, avec une carrière longue de cinquante-sept ans exactement et un total de 600 000 voitures produites durant cinquante-sept ans.
A l’image de la Volkswagen Coccinelle en Allemagne, de la Citroën 2 CV en France, de la Fiat 500 en Italie ainsi que des Austin et Morris mini en Angleterre, l’Hindustan Ambassador a, indéniablement, contribué à mettre le pays de Gandhi sur roues. Durant ses dernières années de production, en particulier aux yeux de la jeune génération des citoyens indiens, elle était toutefois devenue, progressivement mais de manière indéniable, le symbole suranné d’une époque révolue.
L’une des illustrations les plus flagrantes en est certainement un clip publicitaire réalisé par Peugeot et diffusé en 2008 qui montrait un jeune Indien qui, faute de pouvoir s’offrir la 206 dont il rêvait en regardant le poster, eut alors une idée. Il commença alors à jeter son Ambassador contre un mur et allant même jusqu’à faire asseoir un éléphant sur son capot. Ceci, afin de parvenir à en « modeler » la carrosserie, en y passant ainsi des heures voire des jours, en réalisant les « les finitions » au marteau et au burin, jusqu’à ce qu’à en faire une réplique presque fidèle d’une Peugeot 206. Une publicité qui, si pour le spectateur français, joue, à la fois, la carte de l’humour et aussi de l’exotisme, outre les effets de la mondialisation qui commençaient alors à gagner l’Inde, montrait aussi que même au pays de Gandhi et de Nehru, les temps avaient changé.
Les jeunes Indiens n’avaient, en effet, plus envie de rouler dans la même voiture que leurs parents et leurs grands-parents. D’autant que, même au sein de ceux qui ne s’intéressaient guère à l’automobile, beaucoup n’ignoraient sans doute qu’en ce qui concerne ses origines, l’Hindustan Ambassador n’avait rien d’indienne et qu’il s’agissait, tout simplement, d’une ancienne Morris construite sous licence. A l’image de la fin de la carrière de l’Ambassador, l’Inde se trouvait alors, sur bien des points, « à la croisée des chemins ». Plus de soixante ans après son indépendance, le pays souhaitait tourner définitivement la page de l’ère coloniale britannique.
Avec la fin de la production de l’Ambassador, ce n’était pas simplement la disparition d’un modèle mais bien une page, voire même un chapitre important, de l’histoire automobile et industrielle de l’Inde qui se tournait. Une disparition qui, au-delà des frontières de l’Inde et en dehors des amateurs d’automobiles exotiques, ne suscita guère d’émotions et passa sans doute quasiment inaperçue. Au sein de ce qui était devenue, depuis plus d’un demi-siècle, sa nouvelle patrie d’adoption, au sein du public, beaucoup ne purent toutefois sans doute s’empêcher de verser une larme, ou, en tout cas, d’avoir une pensée émue pour celle qui incarna pendant des décennies « LA » voiture indienne par excellence. Tout comme au sein du personnel d’Hindustan, où l’émotion sera grande lorsque l’ultime exemplaire de l’Ambassador quittera les chaînes de production de l’usine d’Uttarpara. Ce qui n’a rien de plus normal et logique, tant c’est bien ce modèle qui, même s’il n’a jamais permis à son constructeur d’atteindre l’envergure de ses concurrents, a pourtant permis à Hindustan de devenir l’un des acteurs incontournables de l’industrie automobile indienne.
Au moment où celle-ci se voit finalement mise à la retraite, son constructeur traverse une grave crise économique et industrielle. Par le passé, l’entreprise avait d’ailleurs déjà dû signer, successivement, plusieurs accords de partenariat avec d’autres constructeurs étrangers, non seulement afin de renouveler et de diversifier sa production. Notamment avec General Motors, non seulement pour la production de voitures particulières mais aussi pour la production des utilitaires Bedford ainsi qu’avec d’autres entreprises comme Allison Transmission. General Motors s’associant d’ailleurs avec Hindustan pour créer, en 1994, sa filiale indienne, GM India, dont le constructeur indien détenait d’ailleurs 50% des parts. Plusieurs modèles des gammes Opel et Vauxhall de l’époque, notamment l’Astra et la Corsa, seront ainsi assemblés sur les chaînes de production d’Hindustan. Jusqu’à ce qu’en 1999, General Motors India rachète à Hindustan l’usine de Halol où elles étaient assemblées, fermant ainsi le chapitre d’un partenariat long de près de vingt ans avec le constructeur indien.
Texte Maxime Dubreuil
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